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Les critiques de Bifrost

Isak le blanc-regard

Isak le blanc-regard

Tom LLOYD
ORBIT
462pp - 21,90 €

Bifrost n° 60

Critique parue en octobre 2010 dans Bifrost n° 60

Sans doute ne le dit-on pas assez souvent, mais chez Bifrost, on aime la fantasy. On admire George R. R. Martin, on vénère Michael Moorcock, on idolâtre Daniel Abraham, on sacrifie des vierges à la gloire de Jean-Philippe Jaworski. Et c’est pour cette même raison que l’on conchie la grande majorité des étrons imprimés dont de diarrhéiques éditeurs arrosent les tables des librairies à un rythme sans cesse accéléré, tel un malade qui entretiendrait sa turista à grand renfort de laxatifs (je file davantage la métaphore fécale ou tout le monde a compris ?).

Pioché parmi cette pénible surproduction, notre victime expiatoire se nomme Tom Lloyd, dont Isak le Blanc-Regard est le premier roman, plus exactement le volumineux (450 pages sans marge ou presque, dans une taille de caractères proscrite aux presbytes) premier tome d’une pentalogie. Pour être gentil trente secondes, on reconnaîtra volontiers que l’auteur n’écrit pas mal, d’autant moins qu’il est ici traduit par Henry-Luc Planchat, impeccable comme toujours. Ses dialogues sont plutôt vivants, offrant même à l’occasion quelques répliques assez réjouissantes. Il n’en est que plus rageant de le voir brasser du vide à longueur de chapitres.

Isak est un jeune blanc-regard, un individu doué dès la naissance d’une force surnaturelle, à la fois craint et respecté par le reste de la population. Sa mère étant morte en lui donnant naissance, Isak vit avec un père qui le déteste au sein d’une caravane marchande. Sa vie va radicalement changer lorsque sire Bahl, le plus puissant seigneur de cette partie du monde, va l’accueillir chez lui et le désigner comme son futur successeur. Et là, très vite, le roman part en sucette.

Le choix d’Isak, issu de nulle part, pour devenir le dauphin de Bahl et occuper une place particulièrement prestigieuse au sein de la noblesse, soulève beaucoup de questions. Le principal intéressé ne s’en pose aucune. Tout juste accueille-t-il la nouvelle avec une bordée de jurons, histoire de. Quant au lecteur, un poil plus curieux que le principal intéressé, à cette question comme à beaucoup d’autres par la suite, il devra se contenter d’un superbe « la seule réponse est “parce que”. » (p.128), à moins qu’il se satisfasse des sempiternelles volontés divines, rêves prémonitoires et autres prophéties régulièrement évoqués. Ou qu’il ne commence à envisager que l’auteur le prend pour un con.

Impression confirmée lorsque Tom Lloyd enchaîne une série de scènes répétitives où Isak reçoit en grande pompe son épée magique, son bouclier magique, son armure magique, son peigne magique, son porte-clés magique… Ainsi rhabillé pour l’été, le voici donc prêt à aller casser de l’elfe, ce qu’il va s’empresser de faire, voir chapitre 14.

En parallèle à l’histoire d’Isak, le romancier tente de développer le cadre de son récit et le contexte sociopolitique dans lequel il se déroule. Il s’y prend hélas comme un manche, multipliant les intervenants — un index à la fin du livre en recense une grosse centaine — et noyant le lecteur sous un flot d’informations, de noms propres et de lieux. A condition d’être patient, pour ne pas dire stoïque, il faudra tenir jusqu’à la seconde moitié du roman pour que la situation finisse par devenir intelligible et que l’on commence à cerner les tenants et les aboutissants de cette histoire. Sauf que, même si l’ensemble est mieux maîtrisé, il est toujours aussi stéréotypé que peu palpitant. Tom Lloyd entraîne alors son héros dans un interminable voyage de plusieurs semaines et près de deux cent pages durant lequel, de visite à un vassal en feu de camp à la belle étoile, il ne se passe à peu près rien. Le roman s’achève sur une ultime pirouette, tentative de remettre en question tout ce que le lecteur, à force d’abnégation et d’extrait de concentré de caféine, avait cru comprendre des enjeux de cette histoire, et de le pousser à s’enfiler les quatre tomes suivants pour savoir ce que l’auteur a vraiment dans la tête. Peine perdue, après une purge pareille, le lecteur en question s’est enfui au café du coin noyer sa souffrance dans une orgie de Picon bière.

Philippe BOULIER

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