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Les critiques de Bifrost

Gotland

Gotland

Nicolas FRUCTUS
LE BÉLIAL'
170pp - 39,00 €

Bifrost n° 86

Critique parue en avril 2017 dans Bifrost n° 86

C’est par deux ouvrages lovecraftiens en diable – ou plutôt en Cthulhu ! – que s’ouvre la collection « Wotan », lancée dernièrement par le Bélial’. D’allures certes fort différentes, Gotland et Le Petit-Neveu de Pickman affichent cependant l’un et l’autre une attirante singularité formelle, annonçant d’emblée la volonté de ce nouveau surgeon du Bélial’ d’entraîner ses lecteurs et lectrices dans des « aventures éditoriales non-euclidiennes »… Hors-normes par sa taille – le volume dépasse les trente centimètres de longueur pour presque autant de largeur –, Gotland l’est tout autant par son contenu à l’hybridité assumée. Aux trois nouvelles fantastiques le composant – « Gotland » et « Mémoires des mondes troubles » écrites par Nicolas Fructus, « Forbach » issue de la plume de Thomas Day et initialement publiée dans le no 73 de Bifrost – s’entrelace un tentaculaire ensemble d’illustrations. D’une foisonnante diversité, celles-ci peuvent aussi bien revêtir l’apparence faussement modeste de dessins au crayon – tels les mystérieux culs-de-lampe concluant certaines pages – que de quasi-fresques nécessitant un déploiement sur plusieurs pages afin d’en donner la pleine et terrifiante mesure. À ces troublantes images s’ajoutent encore des photographies savamment retravaillées, faisant cohabiter de réels humains et d’imaginaires monstruosités. Ces étranges icônes sont le fait de Nicolas Fructus, un bédéaste et illustrateur connu des amateurs et amatrices d’Imaginaire – couvertures de livres, ouvrages illustrés tels que Kadath, le guide de la cité inconnue, Un an dans les airs ou encore Jadis, chez Mnémos – qui est aussi l’auteur du Petit-Neveu de Pickman. D’apparence plus modeste, ce deuxième opus de « Wotan » n’en est pas moins inhabituel. Dénué de textes, l’ouvrage au format quasi-poche narre sous la forme de quarante illustrations pleine page un récit dont le titre annonce d’emblée le sulfureux patronage littéraire… Variation graphique sur l’un des récits lovecraftiens les plus fameux, Le Petit-Neveu de Pickman dessine un rapport à la fois fidèle et distancié au pandémonium du reclus de Providence. Les illustrations (les « visions » serait-il peut-être plus juste d’écrire…) de Nicolas Fructus retranscrivent le grouillement monstrueux emblématique de la prose de H.P. Lovecraft, mais en révèlent aussi, par leur dimension pornographique, le trouble refoulé sexuel. Ces deux entreprises ne sont pas sans faire écho à celle d’Alan Moore et de Jacen Burrows dans leur remarquable Providence (Panini Comics). « Forbach » de Thomas Day explore ainsi avec maîtrise un espace littéraire éminemment lovecraftien – on pense à « Dans l’abîme du temps » – tout en en dévoilant les versants les plus obscurs, là encore libidinaux mais aussi racistes. Par moments critique, la relecture de H.P. Lovecraft par Gotland consiste, elle, à offrir à l’univers des Grands Anciens de nouveaux et inattendus territoires. « Forbach » agrège la Lorraine à la cartographie lovecraftienne, tandis que « Mémoires des mondes troubles » y inclut la Bourgogne et que « Gotland » y adjoint la Scandinavie baltique. Une extension du domaine de H.P. Lovecraft dont participent aussi les images de Nicolas Fructus. En faisant planer l’ombre cinématographique d’Alien sur les illustrations de « Gotland » ou en nimbant d’une atmosphère steampunk les clichés apocryphes de « Mémoires des mondes troubles », l’artiste suggère de fascinantes connexions entre la geste cthulhienne et des mythologies contemporaines.

Pourtant placés sous le signe éditorial d’une divinité borgne, Gotland et Le Petit-Neveu de Pickman portent donc un regard aiguisé et novateur sur l’un des piliers de l’Imaginaire. On n’en attend pas moins des volumes à venir de la collection « Wotan »…

Pierre CHARREL

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