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Les critiques de Bifrost

« Un jour il était né. Bel et bien pris au piège. Sans le savoir. Un jour il était né et s’était bravement mis à mourir. »

L’incipit de Fœtus-Party annonce la couleur : noir. Le roman de Pierre Pelot apparaît comme un évangile dystopique. Une vision sombre de l’avenir dont on espère qu’elle ne s’avérera pas prophétie auto-réalisatrice…

Dans le futur, la ville étend ses limites à l’ensemble du monde. Les gens vivent désormais dans des appartements minuscules ou dans des bidonvilles poussés comme du chiendent. Dans la rue et sur les boulevards, la foule grouille, une multitude sans cesse en mouvement, en route vers son travail. Dans ce monde surpeuplé, pollué, usé jusqu’à la trame, où la nature est recréée dans des parcs, on fouille dans les dépotoirs pour récupérer les ordures et on recycle les cadavres dont la chair morte offre une alternative aux portions d’insectes broyés. Et si l’on n’est pas satis fait de sa condition, la police vient vous arrêter, car le Saint Office Dirigeant veille au grain, louant la Vie, combattant le gaspi et l’esprit de révolte. Mais il est bien rare de trouver un véritable opposant au régime. Les marges cachent du menu fretin, lui-même utile à la Communauté. Pas grand-monde au final, car le Saint Office encadre très strictement les esprits, interrogeant les fœtus sur leur désir de vivre dans un tel monde et proposant aux habitants âgés le suicide assisté, avec une pilule en guise de viatique vers l’au-delà, autrement dit l’assiette de son prochain.

Auteur emblématique de cette science-fiction teigneuse et énervée des années 1970, Pierre Pelot aligne les mots comme des cartouches. Il prend ici pour cible un lieu commun de la littérature : la connerie humaine. Loin d’être l’époque promise par le libéral-capitalisme, l’anthropocène a conduit l’humanité au bord du gouffre. Les hommes ont épuisé toutes les ressources du globe, contraignant leurs descendants à payer les pots cassés. Sous la poigne de fer du Saint Office Dirigeant, les valeurs humanistes ont été remises en avant. Le remède n’a pas tardé à porter ses fruits, une marée humaine dont le flux croissant a aggravé la situation. Pour le Saint Office Dirigeant, l’enjeu consiste désormais à désamorcer la bombe P.

Pessimiste, jusqu’au-boutiste, le roman de Pierre Pelot marque par son atmosphère mortifère. L’auteur se plaît à dépeindre un futur cauchemardesque, sordide, dépourvu de toute échappatoire. Le livre recèle de nombreuses fulgurances stylistiques qui contribuent à marquer l’esprit, y imprimant des visions dantesques. Elles viennent rehausser une intrigue donnant la fâcheuse impression de ronronner, au point de susciter hélas un ennui poli. Fort heureusement, le dénouement surprenant permet d’achever la lecture sur une touche plus positive, si l’on peut dire…

En dépit de ses presque quarante ans, Fœtus-party n’a donc rien perdu de sa noirceur glaçante. Le roman reste une lecture misanthrope très recommandable dont le propos s’apparente à un réjouissant jeu de massacre où la seule alternative à la mort demeure… la mort.

Laurent LELEU

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