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Les critiques de Bifrost

Des hommes, des dieux et des extraterrestres : ethnologie d'une croyance moderne

Des hommes, des dieux et des extraterrestres : ethnologie d'une croyance moderne

Wiktor STOCZKOWSKI
FLAMMARION
480pp - 21,34 €

Bifrost n° 16

Critique parue en décembre 1999 dans Bifrost n° 16

Au cours des années 1960-70, une étrange littérature fit son apparition. Dans des livres qui se voulaient sérieux, on pouvait lire que des extraterrestres étaient venus sur Terre à plusieurs reprises et qu'ils avaient déclenché l'évolution de l'humanité. Cette théorie, dite des « Anciens Astronautes », avait pour ambition de traiter non seulement de l'origine de l'homme mais aussi de son destin futur. Elle s'intégrait dans une vaste fresque théologico-cosmologique où se retrouvaient aussi bien le thème des archives cachées révélant les secrets de l'Univers, que celui des continents engloutis ayant abrité des civilisations très développées, ou encore celui des envoyés du ciel aux pouvoirs extraordinaires, etc. D'ailleurs, le souvenir de leur passage figurait — pour qui savait les lire — dans les mythologies du monde entier, et des vestiges de leurs pistes d'atterrissage ainsi que d'autres constructions monumentales se trouvaient chez les Incas, les Aztèques et les Égyptiens. Ces ouvrages (dont les plus célèbres furent ceux de Louis Pauwels et Jacques Bergier, de Robert Charroux et d'Erich von Däniken), aussi absurdes qu'ils puissent paraître, se vendirent à plus de cinquante millions d'exemplaires dans le monde.

Attribuer ce succès à la crédulité de nos contemporains — au énième retour de l'irrationnel — n'explique rien. Plus pertinente est la démarche qui consiste à retracer avec précision la généalogie de ces idées, comme l'a fait Wiktor Stoczkowski dans le livre qui nous occupe, un ouvrage au demeurant passionnant. On y apprend ainsi que cette théorie n'est pas née dans l'esprit déréglé de quelques auteurs en mal de reconnaissance, mais qu'au même titre que la littérature fantastique du début du siècle, dont elle s'inspire d'ailleurs, elle trouve sa source dans l'occultisme et la tradition théosophique du XlXe siècle, voire dans le gnosticisme antique. C'est toutefois dans le contexte historique des années 1950-60, où se développaient l'idéologie de la conquête spatiale et la vogue des extraterrestres et des soucoupes volantes, que la théorie des Anciens Astronautes lut véritablement élaborée. Ainsi, on comprend mieux pourquoi cette théorie eut un si grand succès auprès d'un public sensible aux spéculations de son époque et qui, s'il ne lisait pas lui-même les occultistes du siècle dernier ou leurs épigones, en connaissait et en appréciait déjà les grandes articulations par l'intermédiaire de la littérature fantastique et de la science-fiction.

Mais au-delà d'une méticuleuse histoire des idées, ce livre est aussi une pertinente réflexion sur l'ineptie de l'opposition convenue entre rationnel et irrationnel. Car, tout compte fait, ces hommes qui ont cru que la venue de mystérieux astronautes expliquait l'origine de l'humanité n'étaient pas des fous ou des simples d'esprit. Leur erreur, selon Stoczkowski, fut de chercher à confirmer à tout prix cette croyance aux Anciens Astronautes sans essayer de la mettre en doute. Cela explique pourquoi les constatations archéologiques et les découvertes textuelles n'ont pas précédé leur croyance, mais comment au contraire c'est cette dernière qui les a générées. Stoczkowski est conscient que cette erreur épistémologique est très courante, puisque chacun de nous la commet quotidiennement afin de pouvoir vaquer à ses occupations sans trop se poser de questions. Mais dans ce cas précis, le simple fait que nos auteurs aient fait de leur croyance un absolu qu'ils étaient incapables de remettre en cause les a rendus aveugles aux contradictions et absurdités qu'elle entraînait. C'est pourquoi, à notre tour, nous ne devons pas juger cette croyance à partir d'autres certitudes absolues. Trop souvent, les pourfendeurs de parasciences ne font ainsi que marcher dans les traces de leurs adversaires quand ils supposent que les idées qu'ils combattent sont nécessairement aberrantes et quand ils cherchent uniquement à confirmer ce jugement. Pour éviter de tomber dans des pièges similaires, il nous faut donc régulièrement remettre en cause nos croyances et ainsi passer du côté de ceux qui croient savoir à celui de ceux qui savent qu'ils croient.

En sommes-nous vraiment capables ?

Roland LEHOUCQ

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