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Les critiques de Bifrost

Dehors les chiens, les infidèles

Dehors les chiens, les infidèles

Maïa MAZAURETTE
MNÉMOS
296pp - 22,00 €

Bifrost n° 54

Critique parue en avril 2009 dans Bifrost n° 54

Maïa Mazaurette est née en 1978. Journaliste, blogueuse qui « parle de sexe sans parler de cul » (si, c'est possible !), elle a publié son premier ouvrage, une autofiction, en 2001 chez Florent Massot, Nos amis les hommes, puis son premier roman en 2004 Le Pire est avenir chez Jacques-Marie Laffont, un ouvrage qui devrait reparaître bientôt chez Mnémos et qui s'apparente aux anticipations sociales chères à J. G. Ballard. Plus récemment ont paru deux essais à La Musardine (en collaboration avec Damien Mascret) : La Revanche du clitoris et Peut-on être romantique en levrette ?

Dehors les chiens, les infidèles est sa première fantasy.

« Tous les cinq ans, Auristelle envoyait cinq adolescents en exil. La Quête avait commencé soixante-dix ans plus tôt, soit une décennie seulement après la défaite de Galaad : on estimait que quatorze groupes sillonnaient en permanence le continent pour trouver L'Etoile du Matin. Mais combien avaient réellement survécu ? » page 42.

Voilà en quelques lignes l'intrigue de Dehors les chiens, les infidèles posée. Le groupe que l'on va suivre dans sa quête c'est celui de Spérance, Vaast, Astasie, Lièpre et Cyférien (ce qui, on le reconnaîtra sans peine, nous change des habituels noms/prénoms à consonance elfique, celte, ou plus couramment merdique). Le décor — mélange de croisade, de Sainte Inquisition, d'idéal aryen et de quête du Graal (la terre gaste est ici transformée en pays de la nuit) — est relativement original. Relativement, car en fait Maïa Mazaurette, sans doute de façon totalement inconsciente, marche sur les traces de Cendres, l'héroïne de Mary Gentle condamnée à repousser les barbares venus de Carthage sous le ciel noir de la Pénitence. Sans parler de l'influence de l'Excalibur de John Boorman, tout à fait tangible, et de divers éléments puisés dans la Matière de Bretagne. Le décalque est assez simple, sans être simpliste, et fonctionne.

Outre cette originalité relative, on notera aussi le sens du scénario de Maïa Mazaurette, qui se permet plusieurs retournements de situations à la fois surprenants et logiques, ainsi qu'un sens aigu des personnages (la plupart sont réussis, tenus ; certains, comme Astasie, sont même très réussis et, de fait, portent le livre sur leurs épaules).

Tout ça n'empêche pas Dehors les chiens, les infidèles d'être décevant, d'une ambition réelle, mais mal maîtrisée. La narration en points de vue papillonne sans élégance d'un personnage à un autre, les dialogues ne vont jamais très loin (ce n'est pas parce qu'on y met des jurons qu'un dialogue est bon), les descriptions s'arrêtent à peu près là où elles devraient commencer, etc. La quatrième de couverture parle d'un « univers médiéval désespéré et violent » ; personnellement, je n'ai pas tellement ressenti ce désespoir ni cette violence. À dire vrai, pendant les cent premières pages j'ai eu l'impression de lire un compte-rendu de partie de jeux massivement multijoueurs, et puis j'ai compris qu'il n'y avait rien de virtuel dans cette affaire, et qu'en fait Maïa Mazaurette n'avait pas pensé que « scène de crime », « organisation pyramidale » et autres anachronismes/incongruités desservaient son récit. À aucun moment, elle n'a cherché à adapter sa langue à son décor (contrairement à un Pelot ou à un Druon, pour n'en citer que deux), ce qui rend l'ensemble « facile », peu immersif (Tancrède, l'uchronie d'Ugo Bellagamba publiée aux Moutons électriques, souffre à mon sens du même problème de manque d'implication dans l'écriture).

Tel un bateau sur des récifs, Dehors les chiens, les infidèles se brise aussi sur quelques phrases ou répliques particulièrement maladroites : « Au moins ces paysans-ci ne se consommaient-ils pas directement d'humains, comme c'était le cas dans les contrées sujettes au cannibalisme », page 39. L'eau mouille, et il pleut dans les villes sous la pluie. Ah ah ah.

À sept euros en poche, pourquoi ne pas découvrir une nouvelle plume prometteuse ? Mais en ces temps de crise, quitte à dépenser 22 euros, dépensez-en plutôt 21 pour acheter La Guerre du Mein, Acacia tome 1 de David Anthony Durham (680 ! ! ! pages, et traduites qui plus est ; critique dans Bifrost 53), qui est à la fantasy moderne ce que Ran est au cinéma japonais.

Pour conclure sur Dehors les chiens, les infidèles : une édition poche étant plus que probable, il convient de l'attendre en espérant qu'elle sera lourdement corrigée.

Thomas DAY

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