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Les critiques de Bifrost

Déchirés

Déchirés

Peter STENSON
SUPER 8
400pp - 21,00 €

Bifrost n° 77

Critique parue en janvier 2015 dans Bifrost n° 77

Super 8 ayant acquis sa vitesse de croisière, on en sait désormais davantage sur les choix de Fabrice Colin et d’Arnaud Hofmarcher. Avec Déchirés, la petite sœur des éditions Sonatine s’inscrit de plain-pied dans le créneau déjà surpeuplé du roman survivaliste. La nouvelle réjouira sans doute l’amateur d’apocalypse Z. Le chroniqueur avoue être resté de marbre, même s’il concède ne pas avoir lâché le livre avant la fin.

L’intérêt du roman de Peter Stenson repose essentiellement sur le choix du narrateur, Chase Daniels, junkie patenté dont le propos sous-tend une intrigue nerveuse et désespérée. Après une semaine de consommation ininterrompue de méthamphétamine, le bonhomme découvre que toute la population est morte puis s’est transformée en monstres affamés de chair vivante. La sienne. La cohabitation entre junkies et zombies étant impossible, Chase voit sa vie, déjà passablement abîmée, se compliquer davantage. Il doit choisir désormais entre deux urgences : trouver sa prochaine dose ou sauver sa peau. En attendant, il s’improvise héros et, flanqué d’un acolyte obèse, se met en tête de sauver son ex-petite amie, elle aussi toxicomane. Il entame alors son chemin de Damas vers ce qui lui paraît une opportunité de rédemption. Un itinéraire parsemé d’embûches, ponctué d’épisodes bien gores, quelques décapitations et démembrements, le tout mené à un train d’enfer. Parviendra-t-il à atteindre son but ? Rien n’est moins sûr quand on a violé à maintes reprises ses promesses, abandonné parents puis amis d’enfance pour se droguer, et renoncé à plusieurs cures de désintoxication. Et puis, peut-on envisager l’avenir quand l’urgence consiste surtout à se procurer sa dose ?

Avec Déchirés, Peter Stenson tenait le scénario d’une excellente nouvelle. Pour son malheur, il a écrit un roman. On l’a dit, l’originalité de l’histoire tient toute entière dans le personnage de Chase Daniels et dans le ton qu’il adopte pour se raconter. Paranoïaque, égoïste et débrouillard, le bougre puise dans le spectacle de la fin du monde le courage de reprendre sa vie en main. L’événement lui laisse même entrevoir la possibilité de reconquérir son amour perdu.

Hélas, les pérégrinations de Chase virent au bad trip. Le récit prend rapidement la tournure d’une longue suite de tueries, de scènes sordides de défonce et de sexe, sans que l’on sorte des banalités sur la psychologie du junkie. A ce titre, Envoie-moi au ciel, Scotty de Michael Guinzburg, pour ne citer qu’un titre, paraît bien plus convaincant en matière de violence, d’humour cynique et de désespoir. En dépit du rythme soutenu, l’intrigue reste minimaliste et ne tarde d’ailleurs pas à tourner en rond, accusant une sévère baisse d’intérêt dans les cent dernières pages.

Bref, loin d’atteindre le niveau de Cormac McCarthy, convoqué une fois de plus en quatrième de couverture, ici par une citation de Donald Ray Pollock, Déchirés permet surtout de se défouler. Voici un livre, certes doté de formules chocs, hélas parfois creuses, que d’aucuns jugeront sans doute cultes, mais dont le propos demeure au final superficiel. Aussitôt lu, vite oublié.

Laurent LELEU

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