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Les critiques de Bifrost

Les actes des Journées interdisciplinaires Sciences & Fictions de Peyresq réunissent chaque année littéraires, scientifiques et universitaires autour de la science-fiction, conscients que sa façon d’aborder des questions actuelles apporte des éclairages neufs et dévoile des angles inédits.

Et quoi de plus pertinent que la science-fiction pour penser la citoyenneté ? Qu’il s’agisse de sociétés futures, de rencontres extraterrestres, de colonisation de planètes, de régimes totalitaires, d’innovations technologiques ou d’humanité augmentée induisant un changement de paradigme, la SF n’est pas neutre concernant les représentations de la citoyenneté.

C’est ce que se propose d’examiner ce colloque, souvent à partir des cas limites qui imposent de faire évoluer les cadres traditionnels et les schémas obsolètes. En cela, la SF est un outil pour éprouver la robustesse de modèles dans des situations extrêmes. Ainsi, autour de la citoyenneté novatrice du cycle de la « Culture » de Banks, médiévale des « Dragons de Pern » (E. Picholle), suspensive dans les space opera guerriers (votre serviteur), à redéfinir en fonction des espèces extraterrestres (S. Bréan), et même face à des citoyens non-standards (S. Laîné), des plus qu’humains virtuellement transcitoyens (J. A. Debats), ou incluant des IA menant à une confiscation de citoyenneté (U. Bellagamba et G. C. Giorgini), les situations de crise et remises en cause arbitraires imposent de repenser la notion d’égalité et de territorialité, notamment sur le plan juridique.

Qui nous gardera de nos gardiens ? La citoyenneté est d’abord affaire d’éducation (E. Blanquet). Mais la palette est large entre coercition et apprentissage proche de la manipulation. Heinlein est convoqué lors de ces débats ; on trouvera d’ailleurs sa réponse aux critiques de Starship Troopers et une nouvelle inédite sur le thème du cyborg.

Au-delà des utopies peu crédibles et des dystopies agitant les spectres totalitaires, la citoyenneté est affaire de contexte politique (Y. Frémion). Toute administration de la cité supposant une vision d’avenir, un politique qui ne comprend pas la SF (les idées comptent moins que son rapport au présent) se contente d’une gestion du quotidien à terme dommageable. Sans offrir de solutions toutes faites, la SF, fondée sur une critique permanente de la société, a pensé l’ensemble des problèmes, ouvrant des pistes de réflexion.

Peut-être les choix actuels sont-ils moins axés sur la recherche du bonheur des gens que sur la prévention de malheurs à venir : autour de cette question, Jean-Luc Gautero oppose les thèses antagonistes des philosophes Ernst Bloch (Le Principe d’espérance) et Hans Jonas (Le Principe de responsabilité). La question du scrutin fait aussi débat, des modalités d’un vote ou d’un découpage électoral qui indique une tentation de la SF à la méritocratie (P. Thomas).

Si la SF est plus contestataire que progressiste, c’est parce que la complexité des questions se traite mal dans le cadre d’une fiction avant tout centrée sur la lisibilité. Le cinéma, plus que la littérature, présente des versions basées sur un sauveur providentiel peu démocratique, mais reste témoin des valeurs de son temps et propose parfois des réflexions sur des enjeux de société et citoyenneté (D. Tron).

Le compte-rendu de ces débats, très riches, du fait d’une quinzaine d’intervenants et de leurs spécialités respectives, est complété par des articles des modérateurs (cités entre parenthèses). Il faut saluer le travail des responsables pour ordonner, condenser, mettre en forme et en texte, ces échanges qui fusent en totale liberté. Au total, un copieux volume, très illustré, dédié à la mémoire de Mady Smets, mécène de Peyresq, et à Roland C. Wagner, qui était un habitué de ces rencontres.

Propre à aiguiser son sens critique, cette session consacrée à la citoyenneté est, en cette période électorale, tout à fait pertinente. À élire sur sa pile de lecture.

Claude ECKEN

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