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Les critiques de Bifrost

Chroniques du Premier Age

Chroniques du Premier Age

Francis VALÉRY
BLACK COAT PRESS
320pp - 20,00 €

Bifrost n° 43

Critique parue en juillet 2006 dans Bifrost n° 43

2033, la station orbitale Youri Gagarine reçoit un message en provenance du système de Proxima Centauri. Le projet Altneuland est lancé sous la direction du professeur Yacob Jungk, il sera entièrement financé par Grand Israël. Mais pour que le voyage vers Proxima Centauri soit possible, il faut que le Sun Beaver, un voilier photonique, soit équipé d'un bouclier contregravitique que seul Mouloud Kaldoun, un savant palestinien, est capable de mettre au point. Jungk l'Israélien et Kaldoun le Palestinien pourront-ils travailler ensemble ?

Chroniques du premier âge n'est pas un recueil, à vrai dire il y en a trois dans le même livre (donc deux de trop, de mon point de vue). Le premier se compose des textes suivants : « Amériques », « Bereshit », « Mihrab », « Elohim », « Game over », « La Dernière mission de Lise Reinhardt », « Nouveau monde » (« L'Ile des femmes », bien que faisant partie de cette séquence, ne s'y intègre pas de façon satisfaisante). Ce premier recueil, que l'on appellera Altneuland pour simplifier, est tout simplement formidable. Original dans sa narration, ambitieux dans sa construction, il rend un hommage jouissif à la science-fiction de Robert Heinlein (un des personnages s'appelle Robert Anson Opperman) et d'Arthur C. Clarke (2001, l'Odyssée de l'espace n'est jamais loin). Grâce à son implacable originalité (le futur de la conquête spatiale vu et perçu à l'aune du conflit israélo-palestinien) et à la portée de son propos (le nationalisme est la déchéance d'un peuple), Altneuland s'impose comme une des pièces maîtresses de la science-fiction d'expression française. Riches en images, en dilemmes moraux et surtout en émotions, ces sept textes prouvent non seulement la grande intelligence de leur auteur, sa culture immense, mais aussi un sens de la littérature des plus réjouissants. Francis Valéry est à la science-fiction d'expression française, ce que Francis Berthelot est au fantastique moderne francophone. Un summum. Quel dommage que Francis Valéry ait peu publié (écrit ?) de textes de ce genre ces dix dernières années. D'autant plus dommage que si Altneuland était un mur, il est clair qu'il pourrait encore monter plus haut, aller plus loin ; tout n'a pas été écrit sur cette histoire de voilier photonique, loin s'en faut.

Le second recueil, très marqué par la vague Interzone des années 90 (Greg Egan, Paul J. McAuley, Eric Brown) est constitué de trois textes qui se mélangent (du bout des doigts) à ceux précédemment cités : « Petite Afrique », « Projet mimes » et « La Cinquième tribu ». Aucun de ces textes ne convainc totalement : « Petite Afrique » n'est pas assez développé et laisse en chemin une partie des implications de son intrigue ; « Projet mimes », une histoire de commercialisation de clones, est trop prévisible ; « La Cinquième tribu » est écrit dans un style futuro-Manchette assez gonflant, et son histoire, passionnante, aurait mérité d'être beaucoup plus développée (il y a du Paul J. McAuley dans ce texte, celui du recueil The Invisible Country, notamment dans les scènes mettant en scène les requins).

Et puis il y a le reste, un troisième recueil disparate, un spicilège farci d'expérimentations littéraires et de textes abscons qui hachurent et massacrent l'ensemble. Ces textes souvent publiés originellement sous le pseudonyme de F. Paul Doster n'apportent rien ou presque au formidable Altneuland. Le plus réussi reste « L'Exil intérieur », sorte de fragment nombriliste à la Marguerite Duras qui parle des mystères de la création littéraire, se lit très bien et touche sa cible. Pour le reste, c'est anecdotique, comme l'amusant « Un-Homme-Au-Foyer™ », ou sans aucun rapport probant avec Altneuland : « Babylone », « Izkor », « L'Ile des femmes ».

Ceux qui n'ont pas lu Altneuland (Editions de l'Hydre, 1995) ou Les Voyageurs sans mémoire (Encrage, 1997), dans lequel se trouvaient déjà tous les grands textes de ce recueil, peuvent se jeter sur celui-ci — huit nouvelles formidables, ça ne se refuse pas. Quant aux autres, il ne leur reste plus qu'à attendre le grand retour en science-fiction de Francis Valéry. Espérons que ce ne sera pas dans dix ans.

Thomas DAY

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