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Les critiques de Bifrost

Blade Runner - 2

Blade Runner - 2

K. W. JETER
J'AI LU
12,04 €

Bifrost n° 13

Critique parue en avril 1999 dans Bifrost n° 13

Voilà bien un titre ayant suscité, dans l'attente de sa sortie, tant une impatience fébrile qu'une suspicion dubitative et parfois même forcenée (si, si, j'en connais..). Pensez donc : la suite de Blade Runner, film culte lui-même inspiré d'un non moins culte roman de Philip K. Dick, écrit par un auteur somme toute assez mystérieux ayant livré, tant en science-fiction qu'en fantastique, des œuvres dignes d'un peu plus qu'un simple intérêt et bien souvent dérangeantes (Madlands, Dr Adder ou bien encore La Mante). Un auteur qui, rappelons-le, fut un proche de Dick, et que le maître lui-même décrivait comme « un grand type mélancolique doté de l'esprit le plus brillant que je connaisse ». On se permettra d'ajouter que le « type » en question doit être également pourvu d'une bonne dose de courage pour oser s'investir dans un projet où on ne peut que se savoir sacrément attendu au tournant — dans semblable cas, l'argent ne peut pas être la seule motivation.

Dès les premières pages parcourues, une évidence s'impose, le doute est levé (l'éditeur s'est bien gardé de le faire) : il ne s'agit en aucun cas de la suite de l'œuvre initiale de Dick mais bel et bien de celle du film de Ridley Scott. Autre évidence : la scène d'ouverture, le premier chapitre — cinq pages, est d'une extraordinaire maîtrise, rien moins qu'une démonstration. On y est, là, dans ce L.A. futuriste bouffé de chaleur, en déliquescence, avec sa faune hétéroclite et grouillante, ses spinners volants, ses publicités criardes, ses flics névrosés, les blade runners, et leurs cibles androïdes, les Nexus-6. L'horreur aussi est bien là, l'horreur du doute, le désespoir d'un homme fou d'amour pour une femme qui n'en est pas une et qui n'en finit plus d'agoniser dans son caisson, de ses trains souterrains emplis de réplicants « défectueux » qu'on emmène aux crématoires — horrible remake d'un holocauste revisité... Une horreur et ses anges : Deckard, Rachael. Et les questions, redondantes : comment définir l'humanité, ce qui fait qu'on est humain ou qu'on ne l'est pas ; la réalité des apparences, jusqu'où s'y fier. Comme dans le film de Scott, les grandes thématiques de l'auteur d'Ubik sont au rendez-vous. « ll avait compris que dès que quiconque commençait à douter des apparences, des niveaux de surface de la réalité, il pénétrait alors dans un labyrinthe qui se déployait à l'infini ; dans lequel les choses n'étaient pas vraiment ce qu'elles paraissaient être. » (p. 194)

Côté intrigue, Jeter exploite avec brio les nombreuses pistes à la fois tracées par Dick dans Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques et surtout par Scott dans son film, principalement dans la version longue, la pierre d'achoppement étant, bien sûr : qui est humain, qui ne l'est pas (avec, encore une fois, en ligne de mire, la question philosophique de la définition de l'état d'humanité). Le canevas de départ est d'une extrême simplicité : les androïdes hors-la loi que chassait Deckard dans le premier opus n'étaient pas cinq, mais six Le meilleur des blade runners est donc contraint de retourner au charbon. De cette ligne scénaristique qui a tout d'une énorme ficelle, Jeter battit un roman passionnant où rien n'est ce qu'il parait être, où les complots, les conspirations et les intrigues se croisent jusqu'à ce que le lecteur s'aperçoive comme Deckard, qu'il doit se méfier de tout. Avec, en points d'orgues, quelques scènes anthologiques : l'ouverture ; la clinique vétérinaire ; les retrouvailles avec J F Sebastian et Priss, misérable créature, réplicante détruite (tuée ?) par Deckard et « réparée'' par Sebastian, pathétique figure déshumanisée...

 Bref, et au-delà des préjugés, Jeter signe ici un fort bon livre, palpitant et porteur de son lot de réflexions Une bien belle pierre de plus à « l'univers Blade Runner », création exemplaire de la science-fiction moderne constitutive de trois grands talents, mêlés mais autonomes Dick, Scott et Jeter.

Olivier GIRARD

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