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Les critiques de Bifrost

Behemoth

Behemoth

Scott WESTERFELD
POCKET JEUNESSE
19,00 €

Bifrost n° 65

Critique parue en janvier 2012 dans Bifrost n° 65

« C’est quoi l’âge d’or de la SF ? Quatorze ans. »

Prenant au pied de la lettre la boutade, Scott Westerfeld ne fait pas dans la demi-mesure, bien au contraire, il ferait même plutôt dans la démesure, comme on va le voir. Depuis la parution des séries Uglies, Midnighters et Peeps, on a pris l’habitude de découvrir ses romans au rayon jeunesse des librairies. Touche-à-tout des littératures de l’Imaginaire, ayant œuvré dans le domaine de la SF et du fantastique, il revisite avec la trilogie Léviathan l’Europe de la Belle Epoque. Une expression passe-partout masquant une réalité beaucoup moins gaie qui aboutira à la Première Guerre mondiale. Nous sommes ainsi sur le terrain de l’Histoire alternative dans une interprétation du terme lorgnant davantage du côté du rétro-futurisme — on n’ose guère prononcer ici le terme steampunk tant il est désormais galvaudé — que du côté de l’uchronie. Avertissement aux éventuels étourdis. Béhémoth est le deuxième volet d’une intrigue commencée sur les chapeaux de roue avec Léviathan en septembre 2010. Résumons un peu les choses pour ceux qui auraient raté le premier épisode.

1914. Veillée d’armes en Europe. Entre Darwinistes, passés maîtres dans l’art de la manipulation des fils de la vie, et Clankers fiers de leurs mécanopodes géants et de leurs cuirassés terrestres, l’ambiance n’est plus à l’entente cordiale. Bien au contraire, on fourbit ses armes secrètes et on resserre ses alliances en attendant d’écraser l’ennemi.

Tiré brutalement d’une jeunesse dorée par l’assassinat de son père, l’archiduc d’Autriche-Hongrie, le prince Alek, héritier de l’Empire par la main gauche, doit fuir précipitamment en compagnie de son mentor et de quelques serviteurs dignes de confiance. Après moult péripéties et affrontements titanesques dont on évitera de dévoiler les détails, il embarque sur le Léviathan, aérostat de l’Air Service britannique. Un écosystème vivant fabriqué grâce aux bons soins de la science darwiniste. Prenant garde de ne pas révéler son identité, il se lie d’amitié avec l’aspirant Sharp sans savoir que le jeune officier est en fait une jeune fille déterminée qui s’est fait passer pour un homme afin d’intégrer l’équipage.

En route pour Constantinople, les Darwinistes et leurs alliés de circonstance s’apprêtent à rencontrer le sultan ottoman afin de le convaincre de rester neutre dans le conflit qui s’annonce. Une tâche ardue tant les espions allemands pullulent dans la cité sur le Bosphore…

On ne peut pas reprocher à Béhémoth le caractère plan-plan de son histoire. Tout au plus, peut-on déplorer l’intrigue un tantinet téléphonée. Pour le reste, Scott Westerfeld se révèle un redoutable raconteur d’histoire, digne héritier des feuilletonistes. A la différence de Léviathan, Béhémoth délaisse les ressorts du roman d’apprentissage, privilégiant davantage ceux du récit d’aventure. En fait, le deuxième volet de la trilogie prolonge les pistes ouvertes dans le précédent tome, tout en étoffant l’univers hybride, mélange de fantaisie rétro-futuriste et d’uchronie. Et si les personnages ne brillent toujours pas par leur profondeur psychologique, ils restent des archétypes efficaces tenant toute leur place dans le récit. On regrettera juste l’absence d’une âme damnée, histoire de dramatiser davantage l’intrigue.

Mais le véritable héros reste toujours cette Europe alternative dont Westerfeld nous dévoile les différents aspects. Entre chimères génétiquement créées, terrifiants canons Tesla, mécas et titanesques béhémoths, toute une géopolitique à la fois familière et différente se déploie en arrière-plan. Et si Béhémoth prend le temps de dépeindre Constantinople, l’Istanbul turque, ville déjà fascinante en elle-même, c’est pour nous en faire découvrir un aperçu inédit, à l’aune des divergences introduites par l’auteur américain.

Ajoutons enfin que l’objet livre est en tout point à la hauteur de l’histoire. Aux illustrations de Keith Thompson rappelant les images des romans de Jules Verne, il faut ajouter une iconographie inspirée d’affiches du dé-but du XXe siècle (celle de Léviathan était adaptée d’une carte humoristique de 1914 que l’on trouve souvent dans les manuels d’Histoire). Ces à-côtés confèrent à l’ouvrage une réelle plus-value. Seule faute de goût : la couverture. On nous pardonnera d’user du terme « tarte » pour la qualifier. Celle de Léviathan n’était déjà pas brillante. Ici, c’est pire.

Bref, Béhémoth creuse de façon convaincante le sillon ouvert par Léviathan. Les près de cinq cents pages défilent sans que l’on s’en rende compte, ce qui n’est pas la moindre des qualités d’un ouvrage aussi distrayant qu’inventif. Dire que l’on a hâte de lire Goliath, troisième volet de cette trilogie, confine à l’euphémisme. Il faudra pourtant attendre septembre 2012.

Laurent LELEU

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