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Les critiques de Bifrost

Au tréfonds du ciel

Au tréfonds du ciel

Vernor VINGE
LIVRE DE POCHE
992pp - 12,20 €

Bifrost n° 25

Critique parue en février 2002 dans Bifrost n° 25

L'Étoile Marche-Arrêt présente la particularité de ne briller que trente-cinq ans puis de s'éteindre pendant deux cent quinze ans. Pourtant, une vie intelligente, arachnide, s'est développée sur son unique planète. À l'époque où débute le roman, elle a inventé la radio. Sherkaner Underhill est le Thomas Edison de cette civilisation qui suit une évolution plus ou moins parallèle à la nôtre (transports aériens, télévision) : grâce à ses réalisations technologiques, il transforme en profondeur une société attachée à ses traditions. C'est ainsi qu'il se permet d'avoir des enfants en-dehors des périodes autorisées. Mais celles-ci étaient imposées par l'hibernation forcée des Faucheux, qui a cessé d'être nécessaire depuis que le génial touche-à-tout a trouvé le moyen de subsister pendant l'extinction du soleil, malgré le gel de l'air et la disparition des ressources vitales à la surface de la planète. Ces avancées ne sont pas au goût des pays rivaux, ni des pouvoirs religieux qui, voyant leur autorité s'effriter, complotent contre Underhill, son épouse la générale Victory Smith, et ses enfants.

Parallèlement à cette intrigue déroulée sur l'espace d'une vie, deux autres civilisations sont explorées dans le détail : attirés par ses signaux radio, orbitent autour Marche-Arrêt le peuple Queng Ho, des marchands qui vendent des informations technologiques d'une planète à l'autre, et les Emergents, une société violente et sadique que seul le pouvoir motive. Thomas Nau, le chef des Emergents, a vite fait de se rendre maître de la flotte marchande qu'il convainc d'autant plus facilement de collaborer avec lui qu'une brève révolte a drastiquement réduit la flotte interstellaire au point de devoir attendre les progrès technologiques des Faucheux pour pouvoir réparer leurs vaisseaux et rentrer. Ezr Vinh, promu responsable à la tête des Queng Ho rescapés, fait figure de traître ; il complote pourtant avec un personnage légendaire vieux de mille ans, qu'on croyait disparu : Pham Nuwen, dissimulé à bord du vaisseau sous une fausse identité.

Queng Ho et Émergents assistent, des années durant, à l'essor d'Arachnia. Ils ont réussi à traduire leur langue avec les moyens barbares des Emergents : une bonne partie des Queng Ho ont été transformés en Focalisés, capables de se concentrer sur une tâche unique au détriment de tout autre préoccupation, y compris leur hygiène et leur alimentation. Créativité que Thomas Nau détourne à ses propres fins.

D'autres idées science-fictives sont exploitées avec un sens certain de la dramatisation ; ainsi, Trixia, jeune fille manipulée par Nau dont elle est la maîtresse, a le cerveau régulièrement purgé dès qu'elle perce le monstre à jour. Ailleurs, Vinge rend définitivement caduque toute unité de l'espèce compte tenu des distances interstellaires et de la précarité des civilisations. Grâce au projet de Pham Nuwen, les Queng Ho, éternels errants, deviennent du coup les garants d'une permanence ; en mettant leurs connaissances en réseau, autour de standards stables, ce qui n'était qu'un commerce devient une culture. Les civilisations naîtront et mourront, car il est impossible de les sauver toutes, mais ce qu'elles auront imaginé pour le progrès de tous sera préservé par les Queng Ho.

Si certaines naïvetés ou quelques ficelles narratives apparaissent ça et là, le roman est suffisamment volumineux pour que chacun trouve un ou plusieurs passages à son goût. Vinge a l'art de retomber sur ses pieds, avec légèreté et humour, au point de vite faire oublier les incohérences de son récit. Ces huit cents pages sont un vrai régal.

Claude ECKEN

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