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Les critiques de Bifrost

Aquaforte

Aquaforte

K.J. BISHOP
L'ATALANTE
382pp - 20,00 €

Bifrost n° 45

Critique parue en janvier 2007 dans Bifrost n° 45

Poursuivis par l'armée des Héros, le bandit Gwynn et la chirurgienne Raule traversent le désert à la recherche d'un pont qui, une fois franchi et détruit, les mettra à l'abri de leurs traqueurs. Rattrapés, ils livrent bataille (une des scènes les plus spectaculaires du livre), survivent et réussissent à rejoindre la ville d'Escorionte (sorte de cité-oasis dépravée, coloniale et arabisante). Là, la chirurgienne trouve un travail mal payé dans le dispensaire de Citrebois (l'équivalent d'un hôpital catholique pour pauvres), et Gwynn se fait engager comme second couteau par Lorme, un mafieux qui gère des putains, des jeux clandestins, et qui trafique des esclaves. Alors que Raule s'intéresse aux nouveau-nés monstrueux qu'engendrent les pauvresses de la cité, Gwynn, lui, tombe amoureux d'une artiste, Beth, qui crée diverses types d'eaux-fortes : il y a des travaux de commande, souvent érotiques, et des recherches plus personnelles dans laquelle Gwynn prend une place de plus en plus importante, à tel point qu'on se demande si le Gwynn du début du livre n'est pas en train de changer, de devenir un monstre qu'il n'a jamais été, une aberration que Beth construit peu à peu. Evidemment, le destin finira par réunir Gwynn et Raule, qui ne sont pas amants mais plutôt liés par le sang et la douleur, le bruit et la fureur.

Ajoutez à ce résumé un alchimiste-empoisonneur, une chanteuse femme-fatale, des duels, des virées au bordel, une hache baptisée « perle » qui laisse des fleurs dans les plaies de ses victimes, et vous aurez une vue plus précise de cet Aquaforte, premier roman de l'artiste australienne K.J. Bishop (née en 1972), récompensé par l'Australian Ditmar Award 2004 et le William L. Crawford Fantasy Award dans la catégorie meilleur premier roman.

Aquaforte est avant tout une fantasy inclassable dans laquelle tous les genres ou presque se mélangent, roman noir à la Jack O'Connell, roman d'aventures (on pense à La Maîtresse de fer de Paul Wellman, African Queen de Cecil Scott Forester, mais aussi au cinéma, Le Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone et L'Homme qui voulut être roi de John Huston), steampunk (le texte évoque parfois L'Age des lumières de Ian R. MacLeod, et certains livres de James P. Blaylock), fantasy urbaine (Viriconium n'est jamais loin), réflexion sur l'art… La richesse stylistique de Bishop, son exceptionnelle maîtrise (il s'agit quand même d'un premier roman, détail qu'on oublie bien vite à la lecture), l'originalité de son décor (Escorionte), sa paillardise et sa violence, tout cela fait d'Aquaforte un livre particulièrement convaincant et très agréable à lire. Un roman décadent au charme singulier, car on y boit du Bourgogne et du brandy (cognac) et la faune interlope qui y est décrite semble plus tirée d'un film de Tarantino que d'un roman de Dickens. Seules ombres au tableau : la couverture, hideuse de chez hideuse (pensez à acheter du papier kraft avec le roman), et la traduction insuffisamment relue — Jean-François le Ruyet ne faisant pas de différence entre chameau (deux bosses) et dromadaire (une bosse), et passant à côté de certains particularismes de la langue anglaise, ce qui donne de magnifiques maladresses (extrêmement rares, heureusement).

Un premier roman aussi bon, aussi original et à un prix aussi raisonnable (20 euros + 60 cents de papier kraft), ça ne se loupe pas, surtout si vous êtes fan du Chien de guerre et la douleur du monde et de Gloriana ou la reine inassouvie de Michael Moorcock, ou, plus proche de nous, de La Cité des saints et des fous de Jeff VanderMeer.

Thomas DAY

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