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Les critiques de Bifrost

Utopiales 2013

Utopiales 2013

William GIBSON, Jean-Louis TRUDEL, Sylvie LAINÉ, Thomas DAY, Norman SPINRAD, Andreas ESCHBACH, Ian MCDONALD, Peter WATTS, Lucas MORENO, Jeanne-A DEBATS, Orson Scott CARD, Jean-Pierre ANDREVON, Stéphane BEAUVERGER, Thierry DI ROLLO
ACTUSF
392pp - 15,00 €

Bifrost n° 74

Critique parue en avril 2014 dans Bifrost n° 74

Cette année encore, l’anthologie du festival des Utopiales (la cinquième éditée par ActuSF) mêle auteurs étrangers à auteurs français, romanciers reconnus à plumes en devenir. Cette année encore, elle propose du bon et du moins bon.

Passons donc rapidement sur William Gibson et son « fantôme », anecdotique. Sur le texte de 1971, revisité (mais pas assez) de Jean-Pierre Andrevon, qui aurait pu rester dans les archives. Sur « Noël en Enfer » d’Orson Scott Card, gentillet, mais qui ne casse pas trois pattes à un canard. Sur « La Fontaine aux serpents », la longue nouvelle dispensable de Jeanne-A Debats, avec son vampire bisexuel, enquêteur peu convaincant.

Nombre d’auteurs de cette anthologie s’interrogent sur notre avenir, sombre, forcément. La technologie est souvent en cause. Dans « Trois relations de la fin de l’écrivain », Jean-Louis Trudel imagine un monde où l’écrit a disparu ; les implants suffisent à tout obtenir. Les pubs ne contiennent plus que des images : à quoi bon des mots, désormais ? Le narrateur, malgré tout, a choisi d’être écrivain, à ses risques et périls… Un texte riche en réflexions, efficace. Même vision noire dans « Les Fleurs de ma mère » d’Andreas Eschbach : à force de jouer avec les éprouvettes, l’humanité a fini par tuer sa flore. Un thème assez banal, mais toujours d’actualité et servi ici par un point de vue original : on découvre ce drame à travers les yeux d’un jeune déficient mental dont la naïveté apporte un regard neuf sur la catastrophe. Progrès (?) toujours, plus positif cette fois, chez Ian McDonald : « Trois futurs », ou trois visions d’un avenir de révoltes, de révolutions : l’informatique au service de populations défavorisées. Comme toujours, l’auteur du Fleuve des dieux évite l’ethnocentrisme et nous embarque à travers le monde. Lucas Moreno, de son côté, choisit le développement de l’intelligence artificielle pour imaginer la fin de notre civilisation. Le héros de « Comment je suis devenu un biotech » résume son parcours, de simple mortel à homme amélioré. Un peu long, mais convaincant. À l’inverse, « Nimbus » de Peter Watts aurait mérité quelques pages de plus. Abandonnant les abysses, l’auteur des extrêmes imagine une explication aux bouleversements climatiques — vertigineux, une fois encore. Trop court, aussi, « J’ai eu trente ans » de Thierry Di Rollo. Son « vampire » moderne, sans âme, manque un tantinet de souffle pour nous entraîner pleinement dans son monde.

Changement complet d’optique avec « Vert dur », où Stéphane Beauverger nous propose un conte plus léger. La société y a inversé les rôles : les femmes sont aux commandes, les hommes ayant été jugés inadaptés. L’auteur s’amuse et fait réagir le lecteur avec les clichés revisités : c’est le mâle qu’on regarde pleurer avec gêne dans le métro, qu’on fait boire pour profiter de sa faiblesse. Troublant.

En fait, l’espoir tombe du ciel. Dans « La Main tendue » de Norman Spinrad, initialement publiée en 1991, le salut de la Terre vient des extraterrestres ; loin des envahisseurs qui peuplent nos écrans. Idem pour Sylvie Lainé, dont la « Grenade au bord du ciel » s’avère une chance pour notre planète — un beau récit à l’écriture sensible, vrai bain d’émotions brutes sur fond de passage cométaire.

La seule nouvelle de fantasy est signée Thomas Day. « La Femme aux abeilles » propose un de ces personnages durs, tranchants comme une lame bien aiguisée, si chers à l’auteur. Dans ce monde sans pitié, pas de tergiversation, aucune hésitation : il faut choisir et savoir tuer avant de l’être. Un texte intense qui donne envie de se replonger dans une œuvre riche.

Reste malgré tout, hélas, une anthologie dispensable, et ce en dépit de quelques nouvelles qui méritent le détour, la faute sans doute à la rareté de ces dernières, et à l’absence de texte porteur d’une vraie « claque ». Sitôt refermé, sitôt oublié.

Raphaël GAUDIN

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