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Les critiques de Bifrost

Un vrai temps de chiens

Un vrai temps de chiens

Olivier LAS VERGNAS
POCKET
245pp - 8,30 €

Bifrost n° 68

Critique parue en octobre 2012 dans Bifrost n° 68

Initialement publié en 2000 sous le titre Autopsie d’un sans-papiers aux éditions le Passager clandestin, ce court roman bénéficie aujourd’hui d’une réédition en format poche sous l’intitulé Un vrai temps de chiens, titre initialement choisi par l’auteur. Si Olivier Las Vergnas, fondateur et directeur de La Cité des Métiers de La Villette, président de l’Association Française d’Astronomie, est un scientifique format XXL, nul besoin ici d’avoir fait calcul à la fac pour apprécier ce texte fondamentalement humaniste, profondément enragé et politiquement engagé. Voyez plutôt : Sirwan, Kurde sans papiers, vit avec Samira, jeune africaine elle aussi clandestine, dans le sous-sol d’un garage désaffecté de la banlieue parisienne sous l’emprise d’Otto, vétérinaire énigmatique au passé obscur. En échange de sa « protection », Sirwan, bricoleur de génie, doit fabriquer des chiens de combats automatisés. Afin de sauver Samira, gravement blessée à la jambe par l’une de ses créations, Sirwan va devoir sortir de sa retraite et se confronter à la réalité, à sa réalité, et véritablement appréhender sa condition de « sanspap ».

Alors, fiction ? Oui, mais pas seulement. Science-fiction ? Oui, un peu, comme une coloration, un code qui permet de véhiculer des messages. Anticipation sociale ? Oui, indubitablement, même si nous y sommes sacrément (jusqu’au cou !) tant notre réalité y est déjà très présente. En tout cas un texte qui, au-delà de ses aspects ludiques, nous invite, pour peu qu’on s’en donne la peine, à une réflexion sur la place de l’homme parmi les hommes, sur le « vivre ensemble ». Texte humaniste, enragé et politiquement engagé, donc. Mais pas simplement d’un point de vue partisan, même si certains pourraient trouver dans ce roman une sympathie « gauchisante » quelque peu agaçante. Ce serait pourtant une erreur de réduire ce roman à ce premier et seul niveau de lecture. Nous y voyons pour notre part un plaidoyer politique au sens où Max Weber a pu le décrire dans Le Savant et le politique, à savoir le croisement indispensable de la science, du jugement, du rapport aux valeurs et de l’engagement dans l’action politique. Il s’agit bien là du politique et non de la politique. A l’heure où la question des camps de rétention est à nouveau d’actualité — place des enfants, existence même de ces centres en France, traitement des malades, hygiène —, Olivier Las Vergnas nous propose ici de focaliser notre regard sur Sirwan et ceux qu’il représente. L’organisation de notre démocratie en a fait des « poussières de quota », des statistiques, des objectifs à atteindre. Assumons-nous cette manière de faire, ce traitement déshumanisé de l’humain ? De manière plus dogmatique, ces clandestins nous ont été présentés comme des étrangers, au sens sécuritaire du ter-me, au sens de celui qui génère la peur et l’exclusion. Acceptons-nous cette vision des choses ? Encore une fois, pas d’esprit partisan ici, pas d’angélisme non plus, ni de bonne conscience bourgeoise. Non. Simplement une proposition, celle de regarder en face ce qui se passe chez nous. Peut-être comme une alarme dont les stridences souligneraient combien notre histoire est beaucoup trop jalonnée de ces points aveugles, de cette récurrence implacable…

Un roman incisif, simple, rythmé, direct comme un coup de poing en pleine gueule, qui invite le lecteur muni d’un peu de distance, de recul, peut-être même de hauteur d’esprit, à s’interroger sincèrement sur sa propre vision du monde. Fiction, science-fiction, histoire d’amour et de désir (euh, oui… c’est des paroles de chanson, désolé !), réflexion sociale, sociétale et politique, comme quoi, encore une fois, quand c’est bien écrit et bien pensé, on peut encore trouver tout ça dans un roman de moins de 250 pages. Dans votre panier. Urgemment.

Hervé LE ROUX

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