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Les critiques de Bifrost

Spirit 59

Spirit 59

Serguei DOUNOVETZ
LE ROCHER
154pp - 12,90 €

Bifrost n° 46

Critique parue en avril 2007 dans Bifrost n° 46

Fuyez !

Telle aurait pu être la plus courte critique publiée dans Bifrost, et accessoirement un joli score au scrabble, avec un Y et un Z.

Cependant, histoire d'être en paix question conscience, développons un peu tout ça.

Commencez par vous mettre en tête Born to be wild, et remémorez vous Easy rider. À la place de Steppenwolf, imaginez plutôt Born to be wild repris par Vincent Delerm. À la place du film, imaginez un livre, avec la caméra de Dennis Hopper remplacée par un texte de Serguei Dounovetz. Et à la place de Peter Fonda, imaginez plutôt un über-Steven Seagal du nom de Dick Roy. Enfin, à la place de la bécane de Peter Fonda, prenez ce qui sera en 2050 une « antique MZ 1000 SF Streetfighter ». Oui, 2050, parce que je ne vous avais pas dit que nous avons fait un bond dans le temps. Vers un futur pas rose du tout, où l'on connaît quand même encore Street fighter. Vous savez, le jeu vidéo devenu au cinéma l'un des meilleurs nanars de Van Damme, dont cette novella est un peu le pendant littéraire.

Mais revenons d'abord sur Dick Roy. C'est un ancien soldat, qui est revenu couvert de médailles des quatrième et cinquième guerres du Golfe. Son incroyable bravoure a une explication simple : ses parents ont été tués quand il était mioche. Il a depuis perdu tout goût à la vie. Il n'avait donc plus qu'une solution : faire la guerre, puisqu'il n'a plus rien à perdre. Puis quand la paix est revenue, cette tête brûlée est devenue flic.

Mais attention, pas une chiffe molle de fonctionnaire ! Plutôt un flic privé de l'UMDLF. L'UMDLF, c'est l'Union des Marshalls qui en ont Dans Le Fallz. Oui, vous avez bien lu ! L'UMDLF se partage le marché de la sécurité de Montpellier avec la SARKO, nommée ainsi en dérision, histoire de railler celui qui fut un ministre de l'intérieur incompétent sauf en esbroufe.

C'est donc pour aller chez son boss que Dick — le marshall qui en a dans le fallz — enfourche son « antique MZ 1000 SF Streetfighter », et en fait vrombir le moteur à l'aide de sa grosse botte de motard viril.

Get your motor runnin'

Head out on the highway

Malheureusement, Steppenwolf ne pourrait plus se permettre de chanter ça. Parce que la Terre est littéralement rongée par la pollution. La Méditerranée n'est plus qu'un vaste dépotoir où l'on ne peut même plus se baigner en combinaison étanche comme au bon vieux temps. Le ciel est toujours couvert, et l'air est saturé de saloperies bleues. Et quand c'est le cas, croyez-moi, vous avez intérêt à rester cloîtré. Seuls les flics qui en ont dans le falzar et les androïdes sortent. Donc, Dick Roy avale les kilomètres pour se rendre à son boulot, au guidon son « antique MZ 1000 SF Streetfighter ».

Le boss de Dick lui apprend alors qu'il doit partir en chasse avec les quatre autres gars de son équipe, les Spirit 59 (en hommage à Buddy Holly). Ils doivent appréhender une bande d'androïdes rebelles : des MC5 dirigés par un Sham 69. Sous ces noms de groupes de rock se cachent en réalité des androïdes, masculins pour les MC5, et plantureusement féminin pour la Sham 69.

Voilà donc notre équipe de têtes brûlées qui en ont dans le falzar prête à aller arrêter nos androïdes, pour les remettre vifs à leur boss. Sauf qu'ils se font presque tous décimer. La main de Spirit 59 a perdu quatre doigts, et il ne reste plus que Dick, sauvé par son instinct. Il est vraiment aware, Dick. Il va d'ailleurs en profiter pour sauver la Sham 69, car il sent que quelque chose n'est pas clair. L'instinct du motard aware qui en a dans le falzar, sans doute. Et bien sûr, il va se rendre compte qu'il est au centre d'un enjeu qui le dépasse, et que son patron le manipule depuis le début. C'est alors que commence la course poursuite qui tient lieu d'intrigue. Intrigue parsemée de quelques scènes coquines entre Dick et la Sham 69, jusqu'à une conclusion que l'on voyait venir depuis… le début ou presque.

Récapitulons donc :

Un héros digne de Gérard de Villiers (impression d'ailleurs confirmée par la couverture, la touche S-F tenant au tuyau d'aspirateur greffé à la plantureuse femme dénudée qui illustre la couverture).

Une finesse politique digne de Kesselring.

Une intrigue qui lorgne vers Blade runner revu et (sévèrement) corrigé par Alexis Aubenque.

Le tout en 154 pages, emballées dans une couverture jaune et rose fluo. Y a vraiment pas à dire : le goût tient autant au fond qu'à la forme. Tout cela pour la somme fort peu modique de 12, 90 euros. Oui, 12 euros et 90 centimes, alors qu'il ne s'agit que d'une novella médiocre et mal écrite sans même l'excuse du coût d'une traduction. Soit plus de 80 francs pour un livre de poche non traduit !

Dès lors, je te l'assure, ô cher lecteur, le doute n'est plus permis : le rapport médiocrité/prix est tel que même Alexis Aubenque et Bernard Werber sont battus.

« Dick Roy alluma un beedis en songeant que, lorsqu'on avait atteint le pire, il fallait toujours s'attendre à pire. »

Ite missa est : ce livre a bel et bien trouvé sa place. Dans la poubelle de Bifrost, il ne dépareillera pas aux cotés d'Aubenque et Werber. Il fera en plus ton sur ton avec Quartier bleu : que demander de plus ?

Ah oui, le DVD de Streetfighter, avec Jean-Claude Van Damme.

Olivier PEZIGOT

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