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Les critiques de Bifrost

Patience d'Imakulata

Patience d'Imakulata

Orson Scott CARD
L'ATALANTE
384pp - 19,90 €

Bifrost n° 8

Critique parue en mai 1998 dans Bifrost n° 8

Orson Scott Card est en quelque sorte, en S-F, le spécialiste du roman initiatique. Alvin et Ender sont là pour en témoigner avec force prix Hugo et Nebula. Mais Card n'a toutefois pas le monopole du thème, citons pour mémoire L'enfant de la fortune de Spinrad, Rite de passage d'Alexei Panshin, Molly Zéro de Keith Roberts… Voici bien un thème typique de la S-F et de la Fantasy à l'heure où, dans nos sociétés contemporaines, de tels rites ont été édulcorés au point qu'ils en ont disparu.

Fille d'un souverain déchu, Patience a reçu une formation d'assassin poussée qui fait d'elle une parfaite machine à tuer. À la mort de son père, elle doit fuir en compagnie de son mentor, Ange, ce qui correspond à leur départ pour Fissur, la ville des Gueblins au sommet de laquelle règne Antiver. Bribe par bribe, il va lui falloir reconstituer l'histoire humaine sur Imakula. Sur la route de Fissur, dont Patience reçoit l'invincible Appel, le groupe s'accroît de Sken, une solide marinière, puis de Ruine, le roi Gueblin, de sa compagne Chal et de leur serviteur Constant, guerrier et sage. Le gros des péripéties tissant la trame du récit naît de la volonté d'Antiver de diviser ce groupe pour attirer Patience seule dans son antre afin d'y engendrer Kristos, prototype d'un être parfait.

Card brosse ici un planet opera, entre Jack Vance et le Greg Bear d'Héritage, avec, dans la construction, un arrière-goût de Fantasy. Quand il recourt à de grosses ficelles telle que la pauvreté du sol en métaux pour justifier la régression technologique, il les tresse bien joliment. Le titre américain, Wyrms, fait davantage ressortir le motif central sur lequel l'auteur brode d'abondance et avec soin. L'idée de l'affrontement de l'humanité avec une espèce génétiquement, biologiquement, supérieure n'est pas très courue. Card la pousse loin et l'exploite au mieux. À l'idée brillante, il rajoute un réel talent de conteur qui le rapproche de David Brin. Ainsi pourra-t-on établir un parallèle entre les trajectoires de leurs héroïnes respectives. Celle, ordinaire de Maïa dans La jeune fille et les clones, et celle, exceptionnelle, de Patience, qui rappelle le Paul Atréide/Muad'Did de Dune, quand le rite initiatique se teinte des couleurs de la prophétie et confine au démiurgique. À la différence du roman de Brin, la problématique générale de celui de Card n'a pas véritablement d'implication dans notre monde contemporain. Il reste dans sa bulle d'univers à l'instar d'un monde de Fantasy. Card s'emploie néanmoins à distiller quelques réflexions sur le pouvoir et son usage, particulièrement dans les premiers chapitres, très herbertiens, avant que le récit ne s'oriente vers son principal motif.

Patience n'échappe pas plus qu'Ender au profil du héros cardien. Elle est prédestinée : elle ne naît que pour s'accoupler à Antiver. Patience est également pathétique à l'image d'un héros moorcockien, assez forte pour vouloir affronter Antiver tout en se sachant trop faible pour espérer triompher. Prise au piège, elle ne peut que se ruer là où il l'attire. Comme ceux de Moorcock, les héros de Card sont construits sur un modèle récurrent où la tromperie figure en bonne place. Patience n'a aucune liberté. Prise au piège de l'histoire humaine sur Imakula, qu'elle triomphe ou échoue elle n'aura été que l'instrument de l'Histoire.

Peut-être la rupture avec le personnage du roi Oruc et l'univers politique d'Imakula s'apparente-t-elle à un vice de construction. Toutefois le chapitre quatre jette plus que suffisamment d'interrogations pour embarquer le lecteur sur la tournure que Card veut donner à son roman. Demeure au final un livre captivant de bout en bout.

Jean-Pierre LION

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