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Les critiques de Bifrost

Orchéron

Orchéron

Pierre BORDAGE
J'AI LU
544pp - 8,50 €

Bifrost n° 22

Critique parue en juin 2001 dans Bifrost n° 22

Deux ans. C'est le temps qu'il nous aura fallu attendre cette suite à Abzalon, ro­man space op' archi-classique mais bien fice­lé, une manière de modèle d'efficacité dans l'épique. Deux ans. Non pas que ce soit par­ticulièrement long… D'autant qu'entre temps, notre auteur n'a pas chômé, loin s'en faut. Qu'on en juge : un roman en épisodes chez Librio, Les Derniers hommes ; un « Quark noir » chez Flammarion, Graine d'immortels ; enfin l'excellent Fables de l'Humpur chez J'ai Lu « Millénaires ». Bordage est un besogneux, dans la vraie tradition du roman populaire. Tant mieux pour nous ! Deux ans donc… Pas trop, on l'a dit, mais suffisamment tout de même pour avoir oublié une bonne part des éléments du premier volet. Ce qui est un peu plus qu'en­nuyeux car tout, dans Orchéron, découle d'Abzalon… Bref, pour vous plonger dans ce bouquin dans de bonnes conditions et sans trop être dérouté, lisez Abzalon !

Souvenez vous. Les passagers de l'Estérion, après de nombreuses péripéties et un siècle de voyage mouvementé, ont enfin trouvé leur Eden. Ils étaient 10000 lors du départ. Ils ne sont plus que 500 à l'heure de l'atterrissage dans ce nouveau monde. Depuis, cinq siècles se sont écoulés. L'épopée de l'Estérion est désormais un mythe ; ses héros des dieux, les fondements idéo­logiques de cette jeune société où chacun à sa place, où le meurtre n'existe pas. Le nouveau monde est vaste, inconnu, et les colons ont fort à faire pour survivre sans le moindre outil technologique dans cet envi­ronnement généreux mais sauvage. Et voilà que des hommes masqués, qui se font appeler les Protecteurs des Sentiers, entre­prennent d'instaurer leur propre justice en vertu de dogmes fanatiques et au nom d'un des personnages mythiques de l'Estérion. Orchéron, qui échappe in extremis et de façon mystérieuse à leur vindicte, entre­prend un long périple afin de fuir ses bour­reaux. Une course poursuite qui l'amènera à découvrir un nouveau continent riche de révélation sur ses propres origines et celles du monde qu'il habite. Parallèlement, la résistance aux Protecteurs des Sentiers s'organise…

Partant de ce cadre utopique (une nou­velle Terre peuplée de colons bienveillants décidés à ne pas reproduire les conneries passées) qui vire à la dystopie sanglante, Bordage tisse habilement (comme d'habi­tude, est-on tenté d'écrire) les fils de ses intrigues croisées, autant d'histoires gravi­tant plus ou moins autour de celle, centrale, d'Orchéron. Et en matière de tisseur d'his­toire, nous l'avons affirmé plus d'une fois, Bordage est probablement l'un des meil­leurs « faiseurs » francophones, si ce n'est le meilleur. On s'installe rapidement dans le bouquin, immédiatement pris dans le flot de cette histoire passionnée et passionnelle où se mêlent inceste, endoctrinement, fana­tisme et colonialisme. Le drame se noue, inexorable, et nous pousse, nous, lecteurs, jusqu'à son dénouement. Le défaut récu­rent de Bordage, c'est sa gourmandise (et peut-être, aussi, la propension qu'il a à flinguer systématiquement la plupart de ses héros…). Qu'il parvienne à juguler sa fréné­sie narrative, et il touche, ou peu s'en faut, au chef-d'œuvre (Les Fables de l'Hum­pur). Sauf qu'ici, c'est raté. Oh bien sûr, le souffle est toujours là, ce côté épique qui donne à la S-F de notre auteur cette allure de fantasy débridée. Alors on plonge, on y va, ouais ! ! Jusqu'à ce que, petit à petit, on lève le nez, on s'égare, on bricole, on vaga­bonde… Bref : on s'emmerderait presque. Un comble. Les intrigues mêlées se diluent dans des atermoiements factices, des dérives pseudos new age inexplicables. On y croit plus : trop c'est trop. Jusqu'à un dénouement obscur, sans grandeur (enco­re un comble pour cet auteur). On a ce désagréable sentiment de boucle non bou­clée, cette impression de s'être fait, après pas loin de 500 pages, en définitive flouer. Abzalon ne nous avait pas totalement convaincu. C'est pire ici. Voilà un cycle (l'auteur annonce un total de quatre ou cinq volumes) qui ne passionne pas, au contrai­re. Bordage à su convaincre de son talent — à juste titre — un large public. Souhaitons qu'il n'en tombe pas pour autant dans la facilité et oublions cet Orchéron : il y a mieux à lire chez Bordage.

Olivier GIRARD

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