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Les critiques de Bifrost

Nous avions un rêve

Nous avions un rêve

Jake LAMAR
RIVAGES
493pp - 10,50 €

Bifrost n° 41

Critique parue en janvier 2006 dans Bifrost n° 41

Jake Lamar est sans conteste une nouvelle recrue talentueuse des éditions Rivages. Après Le Caméléon noir, publié chez Rivages « Noir » en 2003 (directement en poche, donc), Nous avions un rêve a l'honneur du grand format dans la collection Rivages « Thriller ». L'auteur, né en 1961 dans le Bronx, vit depuis 1993 à Paris. Ancien journaliste à Time Magazine et diplômé d'Harvard, il se consacre désormais à l'écriture et prône le métissage comme avenir de notre monde.

Dans une Amérique uchronique, hélas proche de nous, Melvin Hutchinson est en passe de devenir le premier vice-président noir. Attorney général, il milite pour la peine de mort par pendaison, moyen économique s'il en est (la corde coûte moins cher que la seringue) d'éradiquer les criminels de toutes sortes. Mais sa popularité est due aussi à son œuvre majeure, l'ouverture de centres de rééducation de toxicomanes dans lesquels croupissent de jeunes délinquants — Noirs en majorité — en attendant la rédemption que promet le grand Melvin. Mais ce dernier, rongé par un secret aux remugles d'égout qui remonte peu à peu à la surface, s'enfonce dans l'alcoolisme et la haine.

Loin de son quartier huppé vit Emma, sa nièce, une jeune photographe qui ne veut pas entendre parler de couleurs et de discrimination. Elle vit avec un Blanc, jeune loup puant, producteur d'un show télévisé encensé par l'Amérique. Son couple bat de l'aile alors qu'elle découvre sa grossesse. Peut-elle vraiment envisager de garder ce bébé ? Et pourquoi son oncle resurgit-il soudain dans la vie de la mère d'Emma ?

Un puzzle implacable se met en place tandis que l'Amérique s'apprête à assister avec bonheur à une exécution en direct à la télévision…

À travers une histoire de famille remarquablement construite, on découvre le sombre tableau d'une Amérique percluse de haine, de racisme et de violence. L'histoire de Jake Lamar, publiée en 1996, est un reflet très ressemblant de ce qui se passe aujourd'hui. Blancs et Noirs vivent côte à côte, dans un rejet pathologique où chaque communauté est endoctrinée par le fielleux babillage de la télé-réalité et les hurlements guerriers des politiques. La foule clame : « Hutch, pends-les haut et court » lors des apparitions publiques de Melvin, alors qu'un acteur célèbre particulièrement musclé (ça ne vous rappellerait pas le gouverneur de Californie ?), bourreau de l'exécution publique, s'écrie devant les spectateurs : « Parasite… éliminé ! »

Les personnages de Jake Lamar ne sont en aucune manière sympathiques. Melvin est imbu de lui-même et xénophobe, pétri de culpabilité et obsessionnel depuis la mort accidentelle de sa fille ; Emma est intelligente, mais glaciale ; son copain, Seth, est redoutable de bêtise, de faiblesse et de méchanceté ; Scuggs, un ami d'Emma qui lui ouvre les portes de son centre culturel afro-américain, sombre dans l'extrémisme anti-Blancs comme dans une religion ; d'autres, telles les mères d'Emma et de Seth, sont folles et pathétiques ; le président des USA est un monstre de cruauté servi par un médecin, descendant très certainement du Dr Mengele ; ou encore le conseiller de Melvin, horrible gnome qui se tripote joyeusement devant ses propres interviews à la télé… Bref. Ils ont des failles, certes, qui les rendent humains parfois, mais ces blessures ouvertes les poussent vers plus de souffrance et d'extrémisme. Noirs ou Blancs, leur vision du monde s'étrécit de plus en plus, la bêtise galopante les rattrape et les transforme en êtres dénués de sentiments, maléfiques et sans âme.

Pourtant, Jake Lamar parvient, après une des dernières scènes du livre digne d'un tableau de Bosch, à faire surgir un petit espoir, une lueur simple et émouvante d'intelligence. Tout n'est pas perdu, alors, monsieur Lamar ? En tout cas, il semble encore faire meilleur chez nous, non ?

Bénédicte LOMBARDO

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