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Les critiques de Bifrost

Night Watch. Les Sentinelles de la Nuit

Night Watch. Les Sentinelles de la Nuit

Sergueï LOUKIANENKO
ALBIN MICHEL
480pp - 18,50 €

Bifrost n° 46

Critique parue en avril 2007 dans Bifrost n° 46

Débarqué en France presque discrètement, Loukianenko n'a pas vraiment déplacé les foules. Peu ou pas de couverture presse, retours critiques minimalistes et notable absence de notoriété dans le petit monde fandomesque, Night Watch a pourtant de quoi séduire : vampires, démons, vodka, hallucinations, drogues et âpre réalité moscovite, le tout mélangé violemment dans une sorte de vaste cocktail déconnant mêlant polar et fantastique, voilà qui est tentant.

Hélas, L'Express du 23 novembre 2006 nous met la puce à l'oreille en citant l'éditeur : « … l'auteur tient tout autant d'Asimov et de Stephen King que de Bernard Werber… » Pareil parrainage ne peut que rendre malade, d'autant que la couverture criarde renvoie celle d'Aztechs (éditions du Bélial') au rang des madones Renaissance… Bref, la première pierre d'une trilogie russe culte, « vendue à plus de 3 millions d'exemplaires et qui fascine la planète » démarre mal sous nos longitudes. Quelques mois plus tôt, on avait d'ailleurs pu voir le film, Night Watch donc, sorte de machin post-punk filmé aux amphétamines, monté à la tronçonneuse et sonorisé dans une poubelle (métallique) qui pouvait amuser quelques minutes, mais quelques minutes seulement. Après la bataille, quid du livre ?

Surprise, malgré l'inévitable affrontement bien/mal qui structure l'ensemble, Les Sentinelles de la nuit n'est même pas un mauvais roman. Soyons clairs, ça n'est pas non plus un bon roman, disons que c'est quelque chose d'honnête, d'assez barré dans son genre et de suffisamment drôle pour faire passer quelques pilules. Pour les amateurs de société russe post-brejnevienne (et donc pro-chaotique), la lecture du très recommandable livre de Womack (De l'avenir faisons table rase — Denoël) suffit, mais force est de reconnaître que Loukianenko ne manque pas d'intérêt. Quelques mots sur le contexte, quand même : dans un monde où l'ombre affronte la lumière depuis l'aube des temps, il est utile de mettre un peu d'ordre et d'organiser plus efficacement l'affrontement. En conséquence, les deux camps mettent en place une sorte d'avant-garde chargée de surveiller les agissements des uns et des autres et s'assurer que personne ne franchit la ligne jaune. Nous avons les gentils d'un côté et les méchants de l'autre, sauf que rien n'est simple, que les rôles se mélangent parfois et qu'il arrive même que les partisans des deux camps doivent s'unir pour rétablir l'ordre quand l'un des Autres (c'est leur nom, que voulez-vous) déconne trop. Et d'ailleurs, justement, puisqu'on en parle, c'est ce qui arrive dans le livre, en plein monde moderne. Un complot (mais lequel ?) menace cet équilibre précaire. Il va falloir régler ça. Et discrètement, si possible, les humains ne devant, en principe, se rendre compte de rien…

Sur une trame (on le voit) archi-classique, Serguei Loukianenko promène son lecteur de délires en délires, dans un pays où les vampires sont allergiques à la vodka, où les cafards rodent et où les démons sont de vrais rebelles nihilistes. Mais le principal attrait des Sentinelles de la nuit, c'est la façon dont Moscou est décrite. Sorte de vaste chaudron de sorcières dans lequel tout est possible (même l'impensable), la capitale russe est un merveilleux décor, moite et glauque à souhait, qui suffit à lui seul au roman. Malgré ces quelques bons côtés, il ne reste pas grand-chose du livre une fois la dernière page tournée. Réjouissant, certes, rigolo, d'accord, plaisant, admettons, mais guère plus. Pas de quoi s'énerver, donc.

Patrick IMBERT

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