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Les critiques de Bifrost

Lire le cerveau : Neuro/science/fiction

Lire le cerveau : Neuro/science/fiction

Pierre CASSOU-NOGUÈS
SEUIL
186pp - 21,30 €

Bifrost n° 67

Critique parue en juillet 2012 dans Bifrost n° 67

C’est le matin : un enfant dit à sa mère qu’il ne se sent pas bien et ne pourra pas aller à l’école. Aussitôt, elle prend son BR (brain reader). Le verdict est sans appel : la douleur est feinte, le jeune garçon ira en cours. Une telle invention est-elle possible ? Oui et non. En s’appuyant sur des études récentes, l’auteur s’interroge sur ce que pourrait être cette machine. Et en arrive à cette hypothèse affolante de réalisme : même si elle ne lit pas exactement les pensées, quelle importance, si tout le monde y croit ? Même si elle se contente d’affirmer ce que l’on pense, sans preuve, ne finira-t-on pas par accepter son jugement comme vrai, plus vrai que ce que nous avons réellement en tête ? Pierre Cassou-Noguès, comme dans Mon zombie et moi (lire à ce propos l’entretien accordé à Xavier Mauméjean dans le Bifrost n°61), utilise les possibles avancées de la science et la fiction comme points de départ d’une réflexion riche et pertinente. Avec Lire le cerveau, il imagine les conséquences qu’une telle invention pourrait avoir sur nous, sur nos sociétés, sur notre monde.

Pour nous aider à répondre à ses interrogations, il convoque, outre le docteur George Smart, l’inventeur présumé du BR, Marcel et Albertine, tout droit sortis de La Recherche du temps perdu. Que deviendrait ce célèbre couple si chacun d’eux était capable de lire les pensées de l’autre ? Marcel, bloqué chez lui à cause de sa santé, assailli par le soupçon à propos de sa compagne, se jetterait sur elle le soir avec son BR. Et chercherait frénétiquement des confirmations à ses doutes. Albertine, de son côté, s’entraînerait à effacer de sa mémoire, avant de franchir la porte de leur appartement parisien, les souvenirs gênants, les désirs révélateurs. Elle finirait par ne plus penser réellement devant son ami de peur de se trahir.

Et nous, que deviendrions-nous, si nous pouvions voir, dans la rue, au restaurant, au travail, ce qui occupe les pensées des passants, de nos voisins, de nos amis ? Si chacun d’eux était capable de lire en nous comme dans un livre ouvert ? Si cette machine, le BR, était accessible à tous ? Car, c’est vrai, dans la plupart des fictions qui recourent à ce thème, seules quelques personnes y ont accès : le héros, par accident ; la police et les forces de l’ordre. Mais, comme le fait justement remarquer l’auteur, si cette invention devenait réelle, combien de temps avant qu’elle soit commercialisée ? Combien de temps avant qu’elle ne devienne le cadeau à la mode, l’objet dont on ne peut plus se passer ? Avant qu’elle ne bouleverse nos modes de vie ?

Mêlant adroitement chapitres fictionnels et passages analytiques, Pierre Cassou-Noguès donne vie à cette idée, à cette machine, au BR. Et au(x) monde(s) qui pourrai(en)t en naître. Il décrit par étapes la conception de ce « lecteur de cerveaux » qui n’en est pas totalement un. Il envisage avec profondeur, mais de façon très abordable, une société où la parole deviendrait inutile, chacun lisant les pensées des autres. Où les films d’Hitchcock finiraient au placard, car incompréhensibles, tant ils reposent avant tout sur la duplicité et le doute. Où la pensée s’appauvrirait, se standardiserait. Il nous offre un miroir « magique » salutaire et nous fait réfléchir tout en nous divertissant. Le propre d’un philosophe de talent. Le propre d’un genre, la science-fiction, incontournable.

Raphaël GAUDIN

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