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Les critiques de Bifrost

Les Univers des fantastiques. Dérives et hybridations

Les Univers des fantastiques. Dérives et hybridations

Roger BOZZETTO
PUBLICATIONS DE L'UNIVERSITE DE PROVENCE
206pp - 20,00 €

Bifrost n° 64

Critique parue en octobre 2011 dans Bifrost n° 64

Poursuivant sa réflexion sur l’imaginaire fantastique, initiée avec déjà cinq titres dans la collection « Regards sur le fantastique », Roger Bozzetto se penche cette fois sur les hybridations et les dérives qui permettent de passer d’une forme narrative à une autre, suivant des motifs issus d’un creuset originel. Ce sont donc les mêmes images et métaphores ancestrales, mythologiques, qui se déploient selon les traitements imposés par les époques et formes narratives. Un premier exemple est donné avec quatre domaines des fantastiques autour de la mort et de l’immortalité, de l’invisible et du rêve. Cette lecture transversale se poursuit avec cinq trajectoires différentes, à travers des auteurs qui sont six : André Pieyre de Mandiargues, Tomaso Landolfi, Richard Matheson, Graham Masterton et deux auteurs japonais, Mura-kami et Ogawa. L’exercice continue dans les domaines du merveilleux, notamment avec l’arbre et le dragon, principalement ceux, d’univers très différents, de Pern et de Terremer ; l’imaginaire moderne, essentiellement de science-fiction, est traité avec les figures du savant fou et du mutant, ce qui permet de revisiter le bestiaire des monstres de l’Antiquité et des siècles où ils peuplaient les terres inexplorées jusqu’à la fabrique de monstres (les Dr Moreau et Lerne), les mutants et les extraterrestres.

La démonstration étant faite, Roger Bozzetto en vient à considérer comment s’est constitué l’imaginaire de la science-fiction sur ces bases, Jules Verne et Robert Heinlein étant les auteurs choisis pour illustrer la façon dont le discours technique s’inscrit dans la narration littéraire. Qui dit cohérence dit corpus : l’intérêt de cette lecture transversale est de montrer qu’un agrégat de motifs semblables favorise l’émergence d’une nouvelle littérature, en l’occurrence la science-fiction, dont on suit les variations depuis le merveilleux scientifique de Renard jusqu’à la fiction spéculative de Heinlein.

Là où Bozzetto innove, c’est en évoquant la crise actuelle de la science-fiction, la déclinaison de figures amalgamées et redéployées parvenant à épuisement. Attaquée à la fois sur le front de la littérature générale, dont il montre qu’elle n’a de réalité que dans le fandom, et sur celui de l’imaginaire avec la fantasy qui, suite aux désillusions face à la science et aux craintes de l’avenir, réactive avec succès d’autres figures, la science-fiction doit trouver de nouvelles voies. Il es-quisse, très grossièrement, trois pistes, avec comme exemples La Vénus anatomique de Xavier Mauméjean (brillante analyse montrant qu’anticipation et rétrospection proposent la même sidération), l’approche très mainstream du Ballard de Millenium People, et celle, aux frontières de la fantasy, avec L’Ecorcheur de Neal Asher. Roger Bozzetto préconise également un rapport à la science dans un paradigme neuf, sous-entendant que les auteurs actuels, hormis quelques-uns comme Greg Egan ou K. S. Robinson, chacun dans deux voies différentes, ne se préoccupent plus guère de spéculer sur les évolutions de la science en interaction avec celles de la société, comme si ces avenirs se trouvaient parasités par les technologies déjà présentes dans le paysage (un « déjà-là » qu’il avait évoqué en début d’ouvrage à propos du fantastique, « impossible et pourtant là ») et que le rêve se limite à imaginer les conséquences négatives. Tout cela n’est pas entièrement neuf : encore fallait-il formaliser cette nécessité de dépassement à la lumière d’une analyse, qui, si elle survole plus qu’elle n’approfondit, a le mérite de circonscrire le débat.

Si cette lecture transversale est proche de la mémétique, problématique abordée en fin de volume, Roger Bozzetto n’évoque pas, au moins pour dissiper l’impression de parenté, les subjectivités collectives développées par Gérard Klein dans Trames et moirés. Mais il est vrai que ce dernier réfute le rapprochement et que Bozzetto ne fait ici, de son propre aveu, qu’une première approche encore circonspecte des mécanismes par lesquels les idées s’hybrident et essaiment dans la littérature. Mémétique ou pas, ce survol passionnant montre bien comment chaque époque recense et promeut des types de fictions correspondant à sa sensibilité, tout en jouant toujours avec les mêmes motifs.

Claude ECKEN

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