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Les critiques de Bifrost

Les Femmes vampires

Les Femmes vampires

Jean MARIGNY, Ernst RAUPACH, Anne CRAWFORD, X.L., Mary Elizabeth BRADDON
JOSÉ CORTI
224pp - 22,30 €

Bifrost n° 60

Critique parue en octobre 2010 dans Bifrost n° 60

« Quoi, encore des vampires ? » s’insurge le lecteur candide.

(Enfin, probablement pas le lecteur de ce numéro de Bifrost en particulier, ou alors c’est à n’y rien comprendre…)

Oui, mais attention : c’est que nous sommes ici, mesdames et messieurs, dans la collection « Domaine romantique » de José Corti. Autant dire que ça n’a « rien de commun », pour reprendre le fameux slogan entourant la rose des vents emblématique de l’éditeur de Julien Gracq (entre autres). Si le hasard fait bien les choses, et si l’engouement actuel pour les suceurs de sang n’est sans doute pas pour rien dans la réalisation de cette anthologie, le fait est que l’on est ici très loin de la bit’-lit’ formatée pour gothopoufs aux hormones en ébullition ; non, là, on fait plutôt dans le classique, certes, mais surtout dans le rare et précieux. Une approche assez typique de l’excellente revue Le Visage vert, pourrait-on dire : il s’agit bien, en effet, non pas de piocher dans les incontournables du genre, mais bien de dénicher des textes qui, pour être méconnus, n’en sont pas moins parfois fort intéressants.

Car, ainsi que le rappelle Jean Marigny dans sa préface (pour le reste fort dispensable, car trop large, et par-là même trop lacunaire… a fortiori à l’heure de la bit’-lit’, hélas !), si la littérature et le cinéma ont donné une image essentiellement masculine à la figure du vampire, avec bien évidemment le comte Dracula en tête d’affiche, et Lord Ruthven en outsider non négligeable, ce sont pourtant surtout des femmes que l’on a trouvé dans la littérature vampirique dans un premier temps, ainsi qu’en témoigne notamment le fameux poème de Goethe, « La Fiancée de Corinthe », entre autres ; mais on pourrait évoquer plus tard, parmi les grands classiques du XIXe siècle, « La Morte amoureuse » de Théophile Gautier, ou encore la Carmilla de Joseph Sheridan Le Fanu. Autant de textes aisés à dénicher (et dont nous nous entretenons naturellement plus loin dans le dossier du présent numéro).

Là n’est pas le propos de cette anthologie, qui comprend cinq textes du XIXe et du début du XXe siècle, présentant autant de figures du vampirisme féminin ; des textes rares, pour certains d’entre eux inédits en français, présentés et traduits (à l’exception du premier) par Jacques Finné. Des textes, aussi, précisons-le d’emblée, qui ont parfois tendance à biaiser, entendant le vampirisme au sens large : les femmes vampires de ce recueil ne sont pas nécessairement des mortes-vivantes dotées de canines proéminentes… Enfin, pour les amateurs de statistiques, nous noterons que quatre des cinq textes de l’anthologie sont anglo-saxons, l’autre étant allemand ; et enfin que l’Italie semble une destination de choix pour les femmes vampires, puisque trois des cinq textes s’y déroulent…

Commençons par le commencement, c’est-à-dire « Laisse dormir les morts » (1823) d’Ernst Raupach. Ce texte allemand, à l’attribution incertaine, est un des tout premiers de la littérature vampirique (Le Vampire de Polidori date de 1819). Et, pour peu que l’on ne soit pas allergique au romantisme totalement outré, Sturm und Drang pour ne pas dire gothique — question de nationalité, sans doute… —, on passera un très bon moment à lire ce récit fantastique morbide à la fascinante femme fatale, pour le coup authentiquement vampirique. Disons-le tout net : l’auteur en fait des tonnes, mais c’est tout à fait délicieux.

Bien plus intéressant, à vrai dire, que le texte suivant, notre premier récit italien, « Un mystère de la campagne romaine » (1887) d’Anne Crawford, baronne Von Rabe (sœur aînée de Francis Marion Crawford, que l’on retrouvera plus tard). Le récit, guère intéressant sur le pur plan stylistique, est un peu confus, et, si quelques notes humoristiques de temps à autre relèvent le niveau, il se montre néanmoins plutôt laborieux ; on ajoutera que le vampirisme féminin n’y intervient que tardivement et de manière presque anecdotique… Ce n’est pas mauvais, non, mais ce n’est pas passionnant…

Plus réussi, vient ensuite « Le Baiser de Judas » (1893) du mystérieux X.L. (en fait, l’Américain Julian Osgood Field). Rattacher ce texte au vampirisme féminin tient un peu de l’exercice de haute voltige, honnêtement, mais peu importe, tant on passe un bon moment à la lecture de cette nouvelle qui commence comme une amusante satire du colonialisme anglais pour s’achever sur un beau morceau d’angoisse. Tout à fait convaincant.

Nouveau récit italien avec « La Bonne Lady Ducayne » (1896) de Mary Elizabeth Braddon. Là encore, il s’agit d’une franche réussite, non dénuée d’humour, mais ne se rattachant véritablement au vampirisme qu’au prix d’une certaine capillotractation ; on parlera, avec Jacques Finné, de « vampirisme symbolique »… Mais peu importe, là encore : les personnages comme le cadre sont très réussis, et on se prend au jeu de cette nouvelle, quand bien même on en voit très tôt venir la chute.

Reste enfin « … Car la vie est dans le sang » (1905) de Francis Marion Crawford, encore un récit italien. Si le frère écrit indéniablement mieux que la sœur, et si le vampirisme féminin, cette fois, est bel et bien au cœur de la nouvelle, on avouera cependant que ce texte somme toute très classique déçoit un peu, et ne laisse guère de souvenirs… Là non plus, ce n’est pas mauvais, mais…

Il n’en reste pas moins que ces Femmes vampires constituent dans l’ensemble une anthologie assez recommandable. Si la préface est dispensable et si les textes des Crawford déçoivent sans être mauvais pour autant, les trois autres nouvelles sont tout à fait intéressantes ; le bilan est donc un peu mitigé, certes, mais globalement positif, comme on dit. Pour une anthologie portant sur un thème aussi éculé que le vampirisme, ce n’est finalement pas si mal…

Bertrand BONNET

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