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Les critiques de Bifrost

Les Chambres inquiètes

Les Chambres inquiètes

Lisa TUTTLE
DYSTOPIA
368pp - 15,00 €

Bifrost n° 75

Critique parue en juillet 2014 dans Bifrost n° 75

Faisant pendant (plus que suite) au recueil Ainsi naissent les fantômes, proposé par Mélanie Fazi et Grand Prix de l’Imaginaire 2012, chez le même microéditeur, Les Chambres inquiètes réunit quatorze nouvelles de la trop rare Lisa Tuttle, ici choisies par Nathalie Serval. Cette dernière a en effet pioché parmi les nouvelles qu’elle avait elle-même traduites de l’auteure dans le cadre des anthologies « Territoires de l’inquiétudes » et des recueils Le Nid (1990) et Sur les ailes du cauchemar (1995), tous parus chez Denoël dans la collection « Présence du fantastique », et aujourd’hui indisponibles ; une nouvelle occasion d’exposer l’énorme éventail du talent de la styliste américaine (mais résidant en Grande-Bretagne), particulièrement à son aise dans les ambiances pesantes, les récits sombres et les issues incertaines.

A travers ces récits au fantastique ciselé, équivoque, on remarquera la force de l’auteure à se saisir d’une situation anodine pour la transformer en quelque chose de nettement plus sombre (« Propriété commune », qui aborde l’épineux problème du partage équitable en cas de divorce, ou « Une amie en détresse », qui narre les retrouvailles de deux amies de longue date). Entre réécriture des lieux communs du genre (« L’autre mère », étonnante variation sur le thème du fantôme) et une mise en abîme intéressante (« Sans regret », sur le métier de poète et d’écrivain), les femmes de Lisa Tuttle ne semblent pas avoir d’issue, aucune porte de sortie pour s’extraire de leur condition. Les récits s’enfoncent de plus en plus dans la noirceur d’une pensée, d’une situation inextricable où les personnages échouent à s’échapper.

Sans doute est-ce là toute la beauté des textes de Lisa Tuttle : sous l’apparence d’un fantastique aux échos classiques (voire antiques) se cachent en réalité de nouvelles images, tantôt belles et poétiques, tantôt inquiétantes et sombres. Et c’est bien ce dernier trait qui s’avère nettement mis en avant dans Les Chambres inquiètes, un recueil somme toute remarquablement bien construit, qui plonge le lecteur dans l’univers ô combien envoûtant d’un des grands noms de cette littérature fantastique devenue si rare. Bref, si on regrettera l’absence d’inédit à son sommaire, voici une perle sombre dont on ne saura faire l’économie, pour peu qu’on ne possède pas déjà les deux recueils souches. 

Bénédicte COUDIÈRE

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