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Les critiques de Bifrost

Le Serval noir

Le Serval noir

Marc VASSART
AU DIABLE VAUVERT
487pp - 20,00 €

Bifrost n° 53

Critique parue en janvier 2009 dans Bifrost n° 53

Il était une fois Somerset Bienvenue, dit Som. Ethnolinguiste au Musée de l'Homme, c'est un grand spécialiste des langues africaines. Malheureusement, le succès du Musée des Arts Premiers du Quai Branly sonne le glas du Musée de l'Homme. De fait, il y a fort à parier qu'en ces temps d'austérité budgétaire, les jours du service de Som soient comptés. À moins qu'une découverte fondamentale n'inverse le cours fatidique des choses. Et c'est justement là qu'intervient une série d'événements qui tombent plus ou moins à pic. D'abord, la trouvaille d'un Prix Nobel de physique, Parchak, qui a inventé une machine permettant de restituer les ondulations vibratoires du son, ondulations susceptibles de se trouver dans n'importe quel objet, et ce à travers le temps, à l'instar des carottes de glace qui capturent l'atmosphère d'une époque. Or, voilà qu'une poterie kenyane pourrait bien avoir capté un dialogue dans une langue très proche de la langue originelle, mère de toutes les langues, mortes et parlées… Malheureusement pour Som, le président Bush III souhaite envahir le Kenya. Les Américains se sont en effet mis en tête de sauvegarder coûte que coûte la nature et les espaces sauvages. C'est donc pour sauvegarder la faune et la flore kenyane que les USA s'apprêtent à l'invasion. Echaudé par le pillage du Musée de Bagdad, Som va s'embarquer pour l'Afrique dans le but de récupérer la fameuse poterie. Car en effet, quoi de mieux qu'un pas décisif dans la quête de la langue originelle pour sauver son département ?

La quatrième de couverture nous parle d'Indiana Jones : force est de remarquer que Som n'a pas grand-chose à voir avec l'intrépide universitaire. Et que le roman est d'ailleurs moins palpitant qu'un Indiana Jones, si l'on excepte le dernier des quatre films, exécrable. Ceci étant, on ne peut pas non plus dire que Le Serval noir soit un mauvais livre, ni même un livre raté. On a plus l'impression d'avoir affaire à un livre assez touffu qui aurait largement mérité un retravail de la part de l'éditeur. Ainsi la quatrième partie, qui aurait très bien pu être supprimée tant elle est superflue. Que Somerset parte à la recherche de son père, pourquoi pas ? Il a bien trouvé sa poterie… Sauf que ça ne marche pas. Cette longue parenthèse n'apporte rien à l'intrigue, ni en bien, ni en mal. Oui, pas de doute : un bon dégraissage s'imposait.

Coté background, l'auteur ne nous situe pas vraiment dans la chronologie. Nous sommes dans un futur assez proche, mais sans aucune date. Quant au contexte international, et surtout politique, il aurait fallu le creuser davantage. Affirmer par exemple que les USA veulent envahir le Kenya pour sauvegarder les réserves naturelles est un peu court. Une guerre pour un prétexte aussi léger cache sans doute des enjeux stratégiques inavoués, comme la frontière du pays avec la Somalie… Le roman aurait gagné à mieux présenter, à étoffer les enjeux. Même s'il est vrai que les Américains s'embarrassent assez peu de justifications plausibles pour lancer des guerres, comme on l'a vu avec l'Irak…

Tout est cependant loin d'être négatif dans ce roman. Côté positif, il faut reconnaître que l'auteur sait maintenir l'intérêt de ses lecteurs en dépit de thèmes a priori arides. L'ethnolinguistique n'est pas ma tasse de thé, la linguistique encore moins. Pourtant, les passages où Marc Vassart parle des langues africaines ou de la généalogie des langues sont passionnants. L'auteur se montre aussi joliment lyrique quand il évoque l'Afrique, surtout quand il se dégage de la politique. Car même si l'on ne peut qu'avoir de la sympathie pour sa dénonciation de la misère, de l'exploitation et de l'abandon du Continent noir, ses digressions politiques sont, elles, en revanche, assez lourdingues. Encore une occasion perdue de dégraisser un peu…

Bref, et malgré des défauts évidents, Le Serval noir ne manque pas de qualités. S'inscrivant dans la grande mode de l'anticipation sociale et politique, il se situe plutôt dans le haut du panier — même s'il est vrai qu'on peut lire tout et surtout n'importe quoi en la matière. Un roman sympathique, en somme, à défaut de mieux. À défaut surtout de trancher entre le coté divertissement, aventure, et l'aspect intellectuel. Le mélange entre les deux relève d'une délicate alchimie, que certains auteurs ont su atteindre, comme Delany avec Babel 17, ou encore Ian Watson dans L'Enchâssement. Marc Vassart, lui, n'y parvient pas, se retrouvant de fait le cul entre deux chaises. Tout le tort n'en revient peut-être pas forcément à l'auteur. Le Diable Vauvert n'a manifestement pas fait son boulot sur le manuscrit, on l'a dit, ce qui est regrettable car le potentiel est là. Reste un agréable divertissement, qui pose qui plus est quelques bonnes questions et problématiques… tout en demeurant boiteux. Dommage, donc, mais certainement pas pour autant catastrophique.

Olivier PEZIGOT

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