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Les critiques de Bifrost

Le Pire est avenir

Le Pire est avenir

Maïa MAZAURETTE
JACQUES-MARIE LAFFONT
21,00 €

Bifrost n° 37

Critique parue en janvier 2005 dans Bifrost n° 37

No future.

Il y aura bientôt 30 ans… Et les ex-punks aigris se retrouvent aux enterrements d'anciens combattants d'une guerre perdue sans même avoir eu lieu.

Avant même que Maïa Mazaurette ne goûte au douteux privilège de venir au monde, des Lords Of The New Church, en veine prophétique, chantaient « Army chic in high fashion stores » car la rébellion est devenue un marché porteur dont on profite tout en la neutralisant. Et voilà que Le pire est avenir. CQFD.

L'avenir, c'est la vieillesse. Une vieillesse en quête d'éternelle jeunesse, définitivement incapable de laisser la place à des jeunes de moins en moins jeunes. Une vieillesse qui détient tous les pouvoirs et tous les avoirs. Une vieillesse qui joue d'injonctions paradoxales taxant d'immaturité une jeunesse qu'elle confine dans une infantilisante irresponsabilité. Que les héritages se transmettent de mourrant à vieillards…

Maïa Mazaurette envisage la révolte aussi radicale qu'insensée des jeunes contre les vieux. Le livre a le mérite de poser le problème d'une gérontocratie où les jeunes ne se voient proposer que l'entretien de vieillards acariâtres mais friqués — les sans-le-sou, on débranche — pour des salaires à ce point dérisoires qu'ils ne leur procurent pas même l'indépendance sociale…

Deux snipers. L'Immortel et Silence. Deux points de vue. Deux trames plus digressives que narratives. Un journal intime d'ado à deux voix alternées, parsemé de quelques lettres d'une vieille. Entre les deux, un jeu de fascination, d'amour et de mort. Un journal à la fin prédéterminée. Un compte à rebours. Celui des jours qu'il reste à la révolte des jeunes avant l'éradication. No future.

L'histoire ? Celle d'une révolution. Non, d'une révolte, d'une rébellion. De l'idéalisme nihiliste naïf au cynique pragmatisme contre-révolutionnaire. De la Bastille à Napoléon. Du passé faisons table rase pour que l'avenir soit à son image. On assiste ainsi à la renaissance, sur le terreau d'un nihilisme individualiste, d'une structure militaire dans toute sa stalinienne splendeur. Parce que voilà, la mort à 25 ans, l'age de notre auteur, c'est très punk mais suicidaire. Shoot them up, c'est très fun ; flinguer les vieux, très œdipien mais très irréaliste sans ADM. Or, bien entendu, ça ne traîne pas dans toutes les mains… Tant l'Immortel que Silence perçoivent la menace pour leur individualisme que représente l'ascension de l'Armée, mais l'inéluctabilité du processus leur échappe, d'autant qu'il est largement le fait de vieux infiltrés. Ils ne comprennent pas qu'un conflit tend à restaurer la stabilité en opérant au besoin le transfert du pouvoir. Que la conquête de celui-ci, fût-il dérisoire et éphémère, implique la lutte pour sa pérennisation. D'où Cronstadt et la répression de Trotski qui sera à son tour liquidé au Mexique sur ordre de Staline, La Nuit des Longs Couteaux ou la Terreur, Danton, Robespierre… De plus, le pouvoir a une vocation collective et une vision d'avenir, une perspective historique. Son essence même fait tant de l'individualisme que du nihilisme des concepts qui lui sont irréductiblement antagonistes. Les jeunes du roman mènent leur guerre comme un jeu vidéo, ils tirent du vieux comme un Baron Rouge comptabilisait ses victoires. Ils sont davantage dans un illogisme d'impulsion criminelle collective que dans une stratégie logique. Les conflits sexuels et générationnels sont apparus parce qu'ils ont perdu leur critère d'absurdité. Des « armes » sont mises au point qui permettent de voir le mâle et le jeune comme inutiles, dépassés. Par armes, il n'est pas nécessaire de concevoir celles imaginées par Michael Cordy dans Le Projet conscience (Robert Laffont) et qui auraient été bien utiles aux jeunes du roman de Mazaurette. Simplement, on peut croire que la reproduction pourra se passer totalement des mâles et que l'immortalité est envisageable. La S-F traite le plus souvent l'immortalité par le biais d'une renonciation à la progéniture, mais si, comme dans le roman de Sterling, Le Feu sacré (Presses de la Cité, « Rendez-vous ailleurs »), l'héroïne retrouve avec la jeunesse la libido de ses vingt ans, le problème se posera. Et le but de l'immortalité n'est pas une éternité sur le grabat !

Avec Le Pire est avenir, Maïa Mazaurette décoche un livre coup de poing. D'une incorrection politique telle qu'on peine à l'imaginer féministe. Elle livre un roman violent mais pensé ; à 180 degrés de la bien-pensance, aux antipodes de la mièvrerie. De la littérature, quoi ! Peut-être pas la meilleure, mais de la vraie. De la salutaire qui fait tourner les neurones comme des totons et décape les cervelles de la guimauve qui les englue. Seul bémol : la fin, banale. L'écrasement pur et simple sous les bombes d'une poche de résistance avec massacre et reddition. Rien d'une Némésis implacable impliquant un compte à rebours fatal. À défaut de le résoudre, Mazaurette pose le problème. Ce roman où la problématique prend le dessus tant sur la stylistique que sur la narration, s'apparente par là à la feue S-F politique de la fin des années 70, et cette fois, le pire n'est pas à lire. Véritable mine d'épigrammes pour romanciers et essayistes, voilà enfin un vrai roman de S-F, un roman plein d'idées comme on aimerait pouvoir en lire plus souvent.

Jean-Pierre LION

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