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Les critiques de Bifrost

Le Pays multicolore

Le Pays multicolore

Julian MAY
TEMPS FUTURS

Bifrost n° 8

Critique parue en mai 1998 dans Bifrost n° 8

[Chronique portant sur les deux premiers tomes du cycle]

En 2110, la Terre est entrée dans le Milieu Galactique et a colonisé bien des mondes. Depuis plus de 70 ans, une porte à sens unique a été ouverte sur un passé tropical vieux de six millions d'années : le Pliocène, quand vivaient les tous premiers hommes. Près de Lyon, la porte est une sorte de bonde par laquelle s'écoule la lie de l'humanité, les asociaux, les inadaptés. L'Exil leur offrant une porte de sortie honorable quoique sans retour.

La première partie du tome 1, Le pays multicolore, est consacrée à la présentation des personnages principaux, cinq hommes et trois femmes, et les raisons qui les ont poussés sur le chemin de l'Exil. Ainsi Bryan Grenfell, l'anthropologue, court-il après son amour perdu ; Stein Oleson, brute viking ne rêve que de viols et de bagarres à la hache ; Richard Voorhees, pilote d'astronef raciste et individualiste est mis au ban de la société ; Elizabeth Orme a perdu ses pouvoirs psi dans un accident ; Felice Landry est animée par une haine de l'homme qui n'a d'égale que sa soif de puissance ; Aiken Drum, délinquant, n'avait le choix qu'entre l'Exil et la lobotomie ; Claude Majewski, le paléontologue, fuit le souvenir de sa défunte femme ; enfin la nonne Anna-Maria Roccaro entend trouver la rédemption dans l'Exil. Une jolie brochette…

L'Exil n'est cependant pas le Jardin d'Eden. Il est occupé par les Tanu, des exotiques venus d'une autre galaxie dotés de pouvoirs psi terrifiants, qui ont asservi les humains. Comme les exilés, les Tanu sont des inadaptés qui veulent perpétuer leurs rites barbares. Ils rendent leur fécondité aux femmes pour en faire des esclaves reproductrices ; les hommes sont chargés de toutes sortes de travaux ou font partie de la soldatesque. Ceux qui ont des pouvoirs psi servent de kapo. Des relais psychiques, les torques gris, d'or ou d'argent, établissent la hiérarchie que dominent les Tanu. Plus ou moins inspirés de la mythologie celtique, les Tanu engendrent les Firvulag, des gnomes monstrueux aux pouvoirs psi naturels. Tanu et Firvulag se livrent une guerre rituelle dont les humains ont bouleversé l'équilibre.

Le groupe est scindé en deux. En route pour l'Alsace, Claude, Felice, Anna et Richard parviendront à s'évader. Ils rencontreront des humains libres dans les Vosges et s'allieront aux Firvulag du Ballon d'Alsace pour attaquer et détruire Finiah (Baie) grâce à une vedette spatiale et un canon laser datant de l'arrivée des Tanu.

D'autres tomes, qui n'avaient pas été traduits chez « Temps Futurs » en 83 devraient suivre. Dans ce roman d'action, et même si celle-ci n'est pas spécialement « boostée », on ne trouve pas le temps de s'ennuyer. À mi-chemin entre le cycle de Pellucidar d'E. R. Burroughs et Les déportés du Cambrien de Silverberg, l'intérêt pernicieux de ces aventures tient à l'ambiguïté que Julian May cultive à plaisir. Ses personnages fuient le totalitarisme « soft » du Milieu Galactique à la recherche d'une terre de liberté, au lieu de quoi ils tombent sous le joug des Tanu. Lesquels sont des esclavagistes féodaux dans toute leur splendeur. Pourtant jamais J. May ne les fait apparaître malveillants ; jusqu'à la mort même d'Epone qui semble bien cruelle. En revanche les humains usent sans pitié du fer qui est aussi létal pour les Tanu qu'une neurotoxine. Alors que les Tanu asservissent, les humains massacrent. Le sort des humains sous le joug Tanu n'a rien d'atroce…, Mais on sait bien, depuis La Fontaine, que le loup préfère courir les bois le ventre vide, plutôt que, comme le chien, être repu avec une chaîne au cou.

Proche d'auteurs tels que McCaffrey ou Zimmer-Bradley avec laquelle elle collabore par ailleurs, Julian May apparaît comme une crypto-fasciste assez retorse. L'usage ici fait des pouvoirs psi n'a rien à envier à celui qui en est fait dans le « StarReich » cher à Perry Rhodan, ou par sa consœur sus-citée dans la série Rowane. Derrière l'agréable divertissement, à l'ombre de l'action et de l'exotisme, s'embusquent des idées fascisantes qu'une lecture au premier degré risquerait de laisser assimiler. La construction est fort pernicieuse : les principaux personnages étant des méchants sans que jamais cela soit explicité. Il est nécessaire de percer à jour la coloration politique de cette série pour appréhender les idées dont elle se fait le vecteur.

Jean-Pierre LION

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