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Les critiques de Bifrost

Le Langage des pierres

Le Langage des pierres

Robert CARTER
LE PRÉ AUX CLERCS
21,00 €

Bifrost n° 40

Critique parue en octobre 2005 dans Bifrost n° 40

I had a dream… Qu'un de ces jours, les auteurs de S-F et de fantasy, comme les fabricants de lessive ou de shampooing, découvrent le tout-en-un. Parce que Le Langage des Pierres, voyez-vous, c'est ENCORE une trilogie. Je ne sais pas pour vous, mais moi, ça m'agace. Primo, parce que quand on en a trois ou quatre en route, des séries, on se mélange les crayons. Deusio, parce que ça devient une sorte de gage de sérieux. Comme si, parce qu'on nous promettait plusieurs tomes, ça devait forcément être bon. C'est d'autant plus stupide que, soit c'est bon, et c'est casse-pieds d'attendre la suite, soit c'est mauvais, et on s'est emmerdé à lire un bouquin dont on ne connaîtra même pas la fin.

Bon, voilà, j'ai poussé mon cri. Fallait le dire, et puis ça m'a calmé ! D'autant que le roman de Carter est manifestement un texte qui a usé son sujet à la fin du volume : le récit est bouclé, et on ne voit guère comment le faire repartir, sauf à trifouiller un point de détail, histoire d'en remettre une couche dans le genre commercial et alimentaire…

Je m'explique : nous voici repartis pour la lande celtique, avec un jeune garçon et un enchanteur. Ah oui : et un méchant sorcier. Et le jeune garçon est de naissance mystérieuse, trouvé dans la forêt la nuit de Beltane. Il est « l'enfant du destin », selon Gwydion, qui n'est autre que Merlin, bien sûr (qui en doutait, dans la salle ?). On sent déjà que ça ne va pas déborder de créativité, à moins que l'on ait affaire à un auteur exceptionnellement doué. Rassurez-vous, ce n'est pas le cas.

Le pays est menacé par la guerre, à cause de l'influence des Pierres batailleuses, porteuses de Mal, qui sont devenues prééminentes au sein du réseau tissé par l'ensemble des Pierres enfouies par les Mages, lequel devait assurer la pérennité du Royaume. En effet, au fil du temps, les hommes se sont coupés de la Nature, et ont commencé, les cons, à construire leurs maisons en pierre au lieu d'utiliser le bois et les herbes. L'équilibre naturel du monde est compromis. Merde…

Pour ne rien arranger, au sein de l'Ogdoade des Mages, il y a toujours eu, selon la prophétie, un traître qui refuserait un jour d'aller mourir dans le Grand Nord. Le salaud. Or, ce traître est aujourd'hui révélé : Merlin, qui devait être le dernier Mage, est contré par Masgull, celui-là même qui a refusé son destin. Ce dernier veut faire régner le chaos sur le monde à l'aide du pouvoir des pierres noires. Les deux Mages s'affrontent, autant sur le plan magique que sur le plan politique, chacun tentant de convaincre le Roi et ses nobles de rallier son camp.

Bref, il faut absolument retrouver les Pierres les plus dangereuses, dont la fameuse « Pierre du Destin », histoire de les unir aux Pierres bénéfiques qui leur font pendant pour annuler les forces. Cela, Merlin le sait. Sauf qu'il lui manque le talent de « sourcier » permettant de suivre le courant tellurique qui unit les Pierre entre elles. Evidemment, Willand, le jeune garçon évoqué plus haut, en est doté : il part donc avec Merlin, le soir de son treizième anniversaire, quittant sa famille d'adoption. Il paraît qu'il y a urgence, mais bon, on a quand même le temps de faire son éducation pendant deux cent pages, pour finir par nous expliquer que c'était destiné à lui montrer que ces enseignements étaient stériles ( !). Merde alors ! Pendant ce temps, Willand a tout de même appris quelques rudiments de magie, et les principes de la Vraie Langue. On ne voit pas trop l'intérêt de cette partie du texte, sinon que cela fait « passage obligé » du roman d'initiation, et qu'on aurait largement préféré savoir comment Gwydion/Merlin se débrouillait dans ses manœuvres politiques. Bref… On retourne quand même à la recherche des Pierres, avec de longues dérives narratives consacrées à l'histoire du Royaume, dérives que je défie quiconque de comprendre, tant elles sont confuses et embrouillées. Nos deux personnages sillonnent le pays, tandis que l'auteur prend un malin plaisir à accumuler les noms de tous les bleds paumés du pays : un vrai Guide Vert du coin ! De-ci, de-là, un bon passage vient nous sortir de la torpeur, comme le combat avec Masgull. Et on avance doucement vers le bout de la quête, avec la victoire impressionnante et complètement tartignolle de l'amour sur le mal. En gros, c'est Le Cinquième Elément…. Je passe sur le fait que Willand maîtrise la Vraie Langue aussi bien que Merlin sans jamais l'avoir apprise, et combat à lui seul une Pierre que les plus grands Mages ne sauraient purger de son Mal : heureusement que c'est la réincarnation d'Arthur, sinon, on aurait du mal à y croire…

Et pendant ce temps, on voit des choses qui restent là, inertes, inexploitées : Ceux-qui-ont-les-mains-rouges, par exemple, dont on ne comprend jamais exactement quel est le rôle, malgré une place qui semble prépondérante dans la société et l'Histoire. Un chat persan blanc, également, qui apparaît de façon récurrente sans faire avancer en quoi que ce soit le schimlblick… Le personnage de Willow, qui ne sert qu'à générer des moments naïvement romantiques… L'Homme Vert, qui apporte son aide sans que soit un tant soit peu fouillée son histoire (n'est pas Robert Holdstock qui veut, hein…).

Bref, au final, un livre très inégal, qui laisse un sentiment mélangé tirant franchement sur le long et pénible (y a-t-il un éditeur muni de ciseaux dans la salle ?). Ce n'est pas totalement nul, mais faut tout de même en vouloir pour se fader ces 500 pages. Pour les milles restantes, ce sera sans moi.

Sylvie BURIGANA

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