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Les critiques de Bifrost

Le Feu de Dieu

Le Feu de Dieu

Pierre BORDAGE
AU DIABLE VAUVERT
492pp - 23,00 €

Bifrost n° 55

Critique parue en juillet 2009 dans Bifrost n° 55

La science-fiction a une longue tradition catastrophiste — notamment anglaise, tant la mémoire collective de nos amis britanniques fut marquée par le Blitz et ses terreurs… Or il y a peu, cette glorieuse tradition à laquelle nous devons quelques chef-d'œuvres du genre (on citera le Sécheresse de J. G. Ballard ou encore, dans un registre fort différent, Génocides de Thomas Disch) semblait bien derrière nous, et ce de manière définitive. Mais voilà : c'est la Crise, ma bonne dame. La grosse, celle qui rigole pas, celle qui cogne même dans le portefeuille des riches (c'est dire !). Sans parler d'un ciel que nous autres, Gaulois, regardons depuis longtemps d'un œil suspect et qui semble bien décider à nous tomber sur le coin de la figure à grands coups de dérèglements climatiques majeurs. Eh oui : la France à peur (si si, le journal de TF1 le dit). Et pas que la France, d'ailleurs. Du coup, revoilà films et romans catastrophistes et post-apocalyptiques qui fleurissent un peu partout — jusqu'en littérature jeunesse, avec par exemple des fous furieux du genre Fabrice Colin, qui n'hésite pas à expliquer La Fin du monde à nos chers têtes, blondes ou pas, chez Mango ! Et croyez bien qu'on ne s'arrêtera pas là : on attend ainsi de pied ferme le Flood de Stephen Baxter et son déluge de fin du monde (un peu comme Kim Stanley Robinson dans les Quarante Signes de la pluie, oui, mais les bâillements et maux de tête en moins).

Ainsi, Pierre Bordage emprunte donc à son tour ce chemin de fin du monde à la fois très balisé et jouissant d'un récent regain d'intérêt, circonstances obliges… En décidant de nous narrer les aventures de Franx, coincé à Paris alors qu'un hiver cataclysmique s'abat sur le monde suite à de multiples irruptions volcaniques provoquées par on ne sait trop quoi, si ce n'est la connerie humaine (peu importe, la vraisemblance n'est définitivement pas le propos du présent roman), Franx, donc, condamné à traverser une France livrée au chaos et à des températures polaires pour rejoindre une forteresse bâtie de ses mains dans le Périgord où l'attend sa famille, on pouvait espérer (rêver ?) que Pierre Bordage lorgne un tantinet du côté du Cormac McCarthy de La Route. Après tout, le contexte est le même : un héros paumé accompagné d'un gamin qu'il va tenter de sauver dans un monde ravagé. Las… N'est pas McCarthy qui veut, et il semble bien que ce soit plutôt le Roland Emmerich du Jour d'après qui rattrape notre auteur.

Pierre Bordage a du métier, et un savoir-faire indéniable. Nul ne reviendra là-dessus, et s'il est ce qu'on pourrait appeler un « gros vendeur », c'est sans doute aucun à ces exceptionnels talents de conteur qu'il le doit. Sauf qu'ici Bordage ne fait rien d'autre qu'appliquer la recette, enfile les clichés et les invraisemblances, fait le minimum et ce minimum-là, c'est n'est pas assez. L'action se divise en deux lignes narratives. D'un côté Franx et une gamine muette dotée d'étranges pouvoirs qu'il « ramasse » en bord de route dès le début de son odyssée. De l'autre la femme et les enfants de Franx, enfermés avec un malade mental dans le Feu de dieu, une ferme fortifiée du Périgord préparée par Franx et quelques autres illuminés en prévision de la fin du monde (si si, ils le savaient !). Bordage déroule donc son savoir-faire et ses deux lignes narratives comme un métronome, alternant l'une et l'autre histoire en rythme avec cliffhanger obligé à chaque fin des courts chapitres. Et l'auteur a beau plaquer là-dessus l'odyssée homérienne — Franx / Ulysse aura droit à Polyphème et autre Circée avant de retrouver sa Pénélope infidèle en fin de périple —, la sauce ne prend pas, à cause d'un balisage par trop évident. Au mieux le livre distrait de temps en temps, au pire il agace (souvent — les invraisemblances, les relents new age dont l'auteur semble se faire une spécialité, la dimension fabriquée de la narration et des personnages…). Au final un livre-produit qui se laisse lire autant qu'il se laisse oublier, ce que nous vous engageons vivement à faire.

Olivier GIRARD

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