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Les critiques de Bifrost

Le Chemin des dieux

Le Chemin des dieux

Jean-Philippe DEPOTTE
DENOËL
480pp - 20,90 €

Bifrost n° 71

Critique parue en juillet 2013 dans Bifrost n° 71

Depuis l’Incident, la lumière fuit le Japon. Peu à peu, l’archipel s’éteint… Témoin de cet événement, Achille se lamente. Il ne reconnaît plus rien du pays où il a vécu jadis, douze années auparavant. Uzumé, l’amour de sa jeunesse, a disparu. Francis, son ami resté au Japon pour y vivre son rêve, devenir Japonais, s’est suicidé. A peine débarqué de l’avion, Achille revêt le costume du deuil pour veiller sa dépouille. Pourtant, de multiples questions germent dans son esprit. Pourquoi son ami s’est-il donné la mort ? Où se cache Uzumé ? Pour quelle raison Tôkyô s’enfonce-t-elle dans l’obscurité sous les regards complices de Nakajima-san et Fuji-san, les présentateurs vedettes de la chaîne NHK ? Et qui sont ces créatures inquiétantes émergeant d’un passé antédiluvien ? Bien des interrogations jalonnent son enquête, dont l’élucidation revêt pour lui l’importance vitale d’une quête intime…

Quatrième roman de Jean-Philippe Depotte, Le Chemin des dieux souligne la grande régularité d’un auteur dont la plume se semble ni s’assécher, ni se complaire dans les mêmes recettes. Bien au contraire, il nous invite ici à une immersion très réussie dans le Japon mythique et contemporain. Un univers aux antipodes des concepts de Bien et de Mal, valeurs par excellence judéo-chrétiennes, et au-delà des notions de modernité et de tradition. Et si l’intrigue abandonne le passé et sa reconstitution, via les filtres de l’Histoire et de la fiction, elle lorgne beaucoup plus ouvertement du côté des légendes et du temps long, pour ne pas dire immobile, dans une échappée très maîtrisée, même si parfois trop appuyée, on va y revenir.

Le Japon apparaît comme le principal personnage du Chemin des dieux. Toutefois, l’archipel est perçu ici via le regard d’un Européen. Un point de vue empreint de fascination, celle ressentie par un étranger confronté à un monde faussement familier. Une étrangeté au moins aussi frappante que celle suscitée par l’Inde et, de manière plus générale, par toute culture fondée sur d’autres codes et principes philosophiques. Jean-Philippe Depotte restitue de façon convaincante cette sidération éprouvée par le voyageur lorsqu’il se coltine à l’altérité.

A bien des égards, Le Chemin des dieux s’apparente à une quête. Quête de la beauté dont la citation liminaire fournit le fil directeur. Quête d’une image idéale du Japon dans laquelle Achille s’enferme, à l’instar de n’importe quel adepte confronté au fruit de son adoration. Grâce à sa grande connaissance du pays, où il a vécu quelques années lui-même, Jean-Philippe Depotte parvient à faire ressentir le trouble qui saisit Achille lorsqu’il retrouve le Japon après de longues années d’absence. Evoluant dans une reconstruction mentale, emprisonné dans la vision d’un instant figé dans sa mémoire, Achille cherche à retrouver la sensation éphémère éprouvée à cet instant où il a été frappé par la beauté. Et pendant qu’il poursuit cet idéal, le présent vacille sur ses bases et le temps hésite entre deux alternatives. Le monde se rétrécit alors aux dimensions du Japon. Tout un lacis de ruelles émerge sous les viaducs autoroutiers et leurs bretelles désertées par la circulation. Un pays plus archaïque transparait sous la modernité tapageuse. Les enseignes lumineuses high-tech s’éteignent, cédant la place aux traditionnels lampions. Un petit peuple de dieux prosaïques, une foule invisible d’esprits de la nature s’assemblent pour rejouer le mythe de la création et bénir, pour une nouvelle éternité, le Japon.

L’intrigue du Chemin des dieux devient ainsi plus fantastique, flirtant en apparence seulement avec les ressorts familiers de la fantasy. Car les choses sont beaucoup plus subtiles. On évolue en terre étrangère. Les temps morts comptent davantage que les temps forts, et les silences se montrent plus éloquents. Si Jean-Philippe Depotte teinte son propos de poésie et de délicatesse, il n’évite cependant pas l’écueil de la répétition. Vers la fin du roman, le rythme devient plus pesant. L’auteur tend à se perdre dans la contemplation de ses propres descriptions. Il ressasse des enjeux déjà clairement exposés et se perd dans les méandres d’une histoire devenue paresseuse. Fort heureusement, le dénouement conclut en beauté le récit sur une touche que d’aucuns trouveront déstabilisante, mais que le chroniqueur ne peut s’empêcher de juger parfaite.

Avec Le Chemin des dieux, Jean-Philippe Depotte démontre qu’il est désormais un auteur confirmé. Et si l’on peut regretter quelques lourdeurs sur la fin du livre, celui-ci n’en demeure pas moins une réussite que l’on se doit de recommander aux amoureux du Japon… Et aux autres.

Laurent LELEU

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