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Les critiques de Bifrost

La Ville intemporelle ou Le Vampire de Barcelone

La Ville intemporelle ou Le Vampire de Barcelone

Francisco GONZALES LEDESMA
L'ATALANTE
416pp - 22,00 €

Bifrost n° 53

Critique parue en janvier 2009 dans Bifrost n° 53

Barcelone, de nos jours. Marcos Solana, avocat expert en successions, fait dans le conseil patrimonial. C'est le confident de toutes les vieilles familles bourgeoises de la ville, qui tarifie quand il confesse. Il travaille avec une collaboratrice répondant au nom de Marta Vives, femme aussi sexy qu'érudite. Le roman s'ouvre alors qu'ils doivent régler une affaire délicate, puisque leur dernier client, un riche entrepreneur, a été littéralement vidé de son sang. Intrigués par cette mort suspecte, ils se lancent dans une enquête qui les ramènera très loin dans le passé, sur les traces d'un personnage insaisissable. Ce qui n'est d'abord qu'un visage et une silhouette sans âge, aperçu de loin en loin sur des photos jaunies, acquiert peu à peu une présence, une sorte de densité surnaturelle. En fouillant dans la géographie et l'histoire de la ville, la belle Marta va réveiller des forces endormies, se découvrir des ancêtres aux penchants pas très catholiques, et revivre l'affrontement qui pendant des siècles a opposé sa drôle de famille à une autre lignée catalane spécialisée dans la chasse au malin.

Barcelone, hier. Nous suivons le parcours d'un inquiétant narrateur surgi des bas-fonds de la ville médiévale. Né d'une femme mortelle, sa malédiction vient de ce qu'il ne peut pas mourir. La corruption et la maladie ne l'atteignent pas ; même l'Inquisition ne peut avoir sa peau. Dès lors il traverse les époques comme un songe, comme un fantôme dont l'identité fluctuante représente la meilleure garantie d'immortalité. Son histoire épouse celle de la cité, témoigne de l'existence de ceux — tyrans, génies ou anonymes — qui l'ont peuplée de leurs ambitions, illusions ou folies. Les guerres et les révolutions passent, des hommes sont sacrifiés, la ville grandit, se transforme en un gigantesque animal de béton et d'acier où les deux protagonistes, fatalement, vont être amenés à se rejoindre.

XIXe siècle/XXIe siècle, même combat : depuis les Carmilla et autres Dracula, le succès des récits de vampire ne s'est jamais démenti. À défaut d'être follement original, Francisco Ledesma tente une approche décalée, qui donne à cet ouvrage une tonalité particulière. Le vampirisme qu'il décrit n'est pas un vampirisme de plaisir, mais de contrainte, ou de survie. Il présente la condition inhumaine comme un fardeau. Le damné qu'il a choisi comme narrateur a même un profil presque sympathique, bien loin du monstre sanguinaire des forêts Transylvaniennes. Asexué comme les anges, aux traits physiques peu marqués et aux pulsions raisonnables, voilà un type qu'on ne redouterait pas de croiser le soir, dans une venelle obscure (quoique). Chez Ledesma, point de scènes sado-maso d'un érotisme torride, avec crucifix, miroirs et collier d'ail, non plus que de débordements d'hémoglobine. On trouve bien ça et là quelques colifichets propres à susciter une ambiance gothique (une croix médiévale, une pierre noire, un collier aux anneaux en forme de six, des gravures et des portraits qui disparaissent), mais cette mise en scène, ainsi que l'intrigue d'ailleurs - — usée jusqu'à la corde et mollassonne —, ne sont que des prétextes à un discours sur l'ambiguïté du bien et du mal, doublés d'une fascinante incursion au cœur de la capitale catalane, que l'auteur, à l'instar du Londres d'un Michael Moorcock dans Mother London, place en véritable héroïne du roman. S'il emprunte au fantastique et au genre criminel, l'ouvrage de Ledesma est donc par-dessus tout l'épopée d'une ville littéralement hantée par les milliers de morts et de rêves que la marche de l'Histoire a piétinés. On peut juger tout cela trop gentil, trop lent, trop bavard et parfois sentencieux. Mais malgré ces quelques petites réserves, voilà une belle curiosité à découvrir.

Sam LERMITE

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