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Les critiques de Bifrost

La Rose Blanche

La Rose Blanche

Glen COOK
L'ATALANTE
448pp - 19,90 €

Bifrost n° 17

Critique parue en février 2000 dans Bifrost n° 17

Après La compagnie noire et Le château noir, voici donc le troisième tome de la saga de Glen Cook, chronique d'une armée de mercenaires.

À la suite de la défaite infligée au Dominateur à Génépi, dans le Nord, la Compagnie Noire a fui pour échapper à la Dame, son ancien employeur, un être presque divin par sa puissance et sa maîtrise de la magie qui règne sur un Empire aux dimensions d'un continent. Plutôt que celui de la Dame (le pouvoir en place) ou du Dominateur (le pouvoir ancien), la Compagnie a choisi le camp de la Rébellion emmenée par la Rose Blanche, qui s'est réincarnée en Chérie, une jeune muette.

Lorsque commence ce nouveau roman, la Compagnie – et Toubib, son médecin et le rédacteur de ses Annales – se morfond depuis deux ans dans la Plaine de la Peur, un désert à l'écart de tout, où les menhirs marchent et parlent, où les baleines volent et où la moindre griffure d'épine peut se révéler fatale. Protégés de la magie de la Dame et de ses Asservis par le champ nullificateur généré par Chérie, ses membres attendent ils ne savent trop quoi, tandis que la Rose Blanche, dans son rôle officiel, s'épuise à organiser la Rébellion, en vain, pour l'instant.

C'est alors que mystérieuses lettres anonymes et étranges visiteurs commencent d'affluer dans le désert. Les lettres décrivent la vie de Bomanz, un célèbre sorcier d'antan qui a passé son existence à étudier les Tumulus où était enfermée la Dame et où demeure enfoui, du moins peut-on l'espérer, son ancien mari. Les étrangers sont porteurs de terribles nouvelles – la Grande Comète annonçant le retour de l'ordre ancien serait en avance, le tyran mort essaierait de nouveau de s'évader de sa prison, et, cette fois-ci, la Dame ne serait plus capable de l'en empêcher.

Pas seule, du moins…

La rose blanche, qui clôt en beauté (noire) cette première trilogie, est un livre crépusculaire, éclaté entre deux époques et plusieurs narrateurs ; c'est aussi un roman de l'attente, de l'inquiétude, et du compromis nécessaire. Jamais, je crois, les notions de « bien » et de « mal » n'ont été aussi floues dans la fantasy. Jamais les protagonistes, tous dépeints en nuances de gris, n'ont été aussi complexes –contradictoires, parfois. Le style, également, mérite qu'on s'y arrêté : des dialogues enlevés, ponctués d'anachronismes langagiers, un argot omniprésent, des ellipses fulgurantes, le tout rendu à la perfection par le traducteur, Alain Robert.

Dans ma précédente chronique, j'évoquais pour qualifier cette œuvre les grands ancêtres Moorcock et Leiber, mais, à la réflexion, la noirceur de l'un est sublimée par le tragique, tandis que celle de l'autre est atténuée par l'humour. Ici, on a plutôt le sentiment d'assister à une farce cosmique, entre H.P. Lovecraft et Julien Gracq, qui laisse à l'âme une douce amertume, malgré une fin plutôt optimiste.

Oui, décidément, la série de la Compagnie Noire s'adresse à des lecteurs avertis. Voilà, vous êtes avertis : attention, chef d'œuvre.

 PS : Après cette première salve, l'Atalante va marquer une pause dans la publication de cette série (mais son directeur promet d'y revenir bientôt) pour livrer un des rares romans de SF (malgré son titre) signés par Glen Cook, Le dragon ne dort jamais. Miam.

Pierre-Paul DURASTANTI

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