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Les critiques de Bifrost

L'Île au trésor

L'Île au trésor

Pierre PELOT
CALMANN-LÉVY
18,00 €

Bifrost n° 54

Critique parue en avril 2009 dans Bifrost n° 54

L'Ile au trésor ! L'impérissable chef-d'œuvre de Robert Louis Stevenson, qui n'est pas autre chose que l'archétype même du roman d'aventure. C'est à ce monument de la littérature que Pierre Pelot a décidé de s'attaquer. Une entreprise pour laquelle il ne faut manquer ni de talent ni de courage, car l'échec s'y paie cash et la médiocrité ne saurait y être de mise. Haute est la barre et, coûte que coûte, il faut la franchir… Ou renoncer. Echouer à revisiter une œuvre d'une telle envergure vous expédie illico au « terminus des prétentieux », ce cimetière où gisent tant de grenouilles ayant voulu se faire aussi grosses que le bœuf. Selon l'adage bien connu, le ridicule ne tue pas ; il peut néanmoins causer beaucoup de tort, même à un écrivain aussi établi et réputé que Pierre Pelot. Inutile de maintenir davantage le suspense. Pierre Pelot a les armes pour relever et tenir la gageure.

Il n'y a pas si longtemps, à l'aune de ses plus de quarante ans de carrière, Pierre Pelot a publié chez Héloïse d'Ormesson L'Ombre des voyageuses, un roman historique où la piraterie était déjà à l'honneur. Or, qui dit roman de pirates, dit L'Ile au trésor. Les plus splendides monuments historiques ont parfois besoin d'un bon ravalement de façade pour retrouver tout leur lustre d'antan, mais il ne saurait être question de confier pareille tâche à des gougnafiers qui saloperont le boulot. Il existe plusieurs manières de rendre hommage à un texte ou à un auteur. Pierre Pelot a choisi celle consistant à réécrire purement et simplement le même roman en le mettant au goût du jour. Ça n'a l'air de rien, comme ça. Il n'y a rien à inventer, l'histoire existe déjà. Or, justement, la difficulté gît là car il s'agit alors de respecter le plus possible le texte d'origine tout en changeant le maximum de ce qui doit l'être.

Quand, vers 1880, Stevenson écrit L'Ile au trésor, la marine à voile brille de ses derniers feux, ceux des grands clippers à coque d'acier qui mènent une lutte perdue d'avance contre ces vapeurs sur l'un desquels il rejoint sa future femme en Californie. La marine en bois, elle, n'est déjà plus qu'un souvenir romantique avalé par l'histoire. À l'instar, par exemple, d'Alexandre Dumas, son roman d'aventure est aussi un roman historique. En 1880, les chevaliers et autres nobles gentilshommes ont définitivement cédé la place à des capitaines d'industrie ou de commerce, rationnels et avides de bénéfices, pour qui la chasse au trésor est passée de mode, si tant est qu'elle l'ait jamais été ailleurs que dans des esprits épris de romantisme. L'époque est pourtant celle de la ruée vers l'or, de la course aux pôles et des dernières grandes explorations, mais l'âme en est celle de la révolution industrielle. C'est Oil, le roman d'Upton Sinclair, qui reflète bien mieux le Zeitgeist au tournant du siècle. C'est donc depuis un recul de deux siècles et non d'un que Pelot va devoir brosser L'Ile au trésor.

Pierre Pelot reprend le même mode narratif, quasiment les mêmes péripéties et, bien sûr, les mêmes personnages, au premier chef desquels Jim Hawkins, neveu au lieu de fils d'aubergiste — dont le père est inconnu/absent plutôt que mort. La tante se substituant à la mère et le compagnon de celle-ci, Trelaway, remplaçant, en sus du père, le chevalier Trelawney. Billy Bones tient son rôle et connaît son funeste sort, tache noire/rouge oblige. Long John Silver, archétype du pirate, devient, du fait des prothèses handisports qui ont remplacé sa mythique jambe de bois, Johnny « Jump » Silver, et perd son emploi de cuisinier au profit de celui d'affréteur de l'Hispaniola, bateau qui conserve son nom de baptême. Le trésor est toujours celui de Flint, quoiqu'il soit devenu pour le coup un mercenaire d'envergure « faisant » de l'Afrique, à l'image d'un Bob Denard du XXIe siècle. Ben Gun(n), qui perd un « n », ce qui renvoie mieux à un surnom de baroudeur, n'a plus été abandonné sur l'île par Flint mais ne s'y est pas moins retrouvé piégé. Des scènes aussi capitales que celle du tonneau de pomme passent quasiment à l'identique du passé au futur. Et à la fin, Silver s'enfuit avec la portion congrue d'un magot qui tombe bel et bien dans les mains prévues quoique désormais roturières.

Si l'on y tient absolument, on peut considérer cette version de L'Ile au trésor comme de la science-fiction puisque l'action est située dans quelques décennies, après que le réchauffement climatique a fait fondre les calottes glaciaires et, partant, modifié le dessin des continents. Ces soubresauts écologiques ont ébranlé les régions du monde les moins stables, dont l'Afrique, au profit d'aventuriers tels que Flint, Silver, Bones, Gun. Le pognon a été rematérialisé et soustrait aux voraces appétits des uns et des autres.

Pour Jim Hawkins, ado plutôt dégourdi dont la mère a un beau jour disparu sans crier gare, tout va commencer par l'arrivée de Billy Bones au Barraco, comme porté par un ouragan. Bones n'arrive pas là par hasard. Il est à la recherche de la mère du garçon. Jim est fasciné par la personnalité de Bones et se lie d'amitié avec lui. Pelot renforce les liens entre les personnages et accroît ainsi la crédibilité de l'intrigue à petites touches, tout en finesse. Durant ce premier tiers du roman, qui se passe dans l'auberge, les éléments se mettent en place tandis que la tension liée à l'obscure menace que l'on sent peser sur Billy Bones monte progressivement.

Jim, narrateur a posteriori de toutes ces aventures, nous les conte de son point de vue, loin qu'il est de connaître tous les tenants et aboutissants de la situation. De temps à autre, il interpelle le lecteur qui sait depuis le début qu'il va s'en sortir mais ce n'est pas l'enjeu du roman. Hawkins laisse des zones d'ombre dans sa narration avec le dessein de les combler ultérieurement en respectant la chronologie événementielle. Le moteur de lecture reste la découverte du puzzle final où l'on voit comment s'agence l'ensemble des éléments. Le récit coule inexorablement vers sa conclusion attendue, à l'instar d'un fleuve vers son embouchure, les divers rebondissements s'y greffant comme autant d'affluents sur le cours principal, apportant leurs éléments à l'intrigue.

Comme il est si bien dit en quatrième de couverture, on mesure là tout le prix d'un grand roman d'aventure. Pierre Pelot a gagné haut la main son pari et on mesure à l'aune de Stevenson combien il est un grand écrivain populaire — dans « grand écrivain populaire », il y a « grand écrivain » ; « populaire » n'est pas un terme réducteur, au contraire. Leur talent n'est nullement circonscrit à une élite, mais ouvert au plus grand nombre. Il faut lire et relire L'Ile au trésor, jouir du bonheur qui nous est donné. Pelot et Stevenson. Pelot, diable d'écrivain, gît dans les détails.

Jean-Pierre LION

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