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Les critiques de Bifrost

Journal d'un ange

Journal d'un ange

Pierre CORBUCCI
FOLIO
224pp - 7,80 €

Bifrost n° 56

Critique parue en octobre 2009 dans Bifrost n° 56

Au Ciel comme sur la Terre, il se passe parfois de vilaines choses. En tant qu'ange inquisiteur, Eriel a pour mission d'enquêter sur de tels évènements. Rien de très méchant en règle générale, jusqu'à ce que trois anges que rien ne semble lier disparaissent subitement. Pas de corps, pas de traces, pas d'indices. Il y a de quoi s'inquiéter, surtout au moment où le Paradis entame de délicates négociations avec les Enfers au sujet de la revente du Purgatoire, et où un mouvement clandestin se met à revendiquer certains droits pour les anges, notamment celui d'être sexué. Très vite la situation va devenir particulièrement inconfortable pour Eriel, harcelé par son irascible supérieur hiérarchique, et constamment épié par les agents du Keter, les services secrets célestes. Bref : tout laisse à penser qu'il y a bien quelque chose de pourri au Royaume Eternel.

Paru initialement dans la « Série noire » en 2004, Journal d'un Ange est un premier roman qui ne manque pas de qualités. Pierre Corbucci s'est amusé à transposer les codes du polar dans un cadre original et pour le moins singulier. Quoique le Paradis qu'il met en scène ne nous semble pas si étranger que ça tant il ressemble à notre bonne vieille fonction publique, chaque catégorie d'anges étant affecté à un rôle bien précis, de la réception des défunts à la gestion des affaires courantes. Bien évidemment, d'un service à l'autre, on se tire sans arrêt dans les pattes dans l'espoir d'une promotion accélérée ou pour d'autres motifs moins avouables.

Ce décalage permanent entre l'image traditionnelle du Paradis et la vision peu glorieuse que donne Corbucci de son mode de fonctionnement constitue une source d'amusement récurrente tout au long du roman. De la même manière, il est assez drôle de le voir appliquer les lois de l'économie de marché à la gestion des âmes humaines, en conséquence de quoi, entre autres joyeusetés, la Banque Centrale se voit contrainte de faire tourner la planche à âmes pour lutter contre l'augmentation de l'athéisme sur Terre… Plus farfelu encore, on découvre que les anges ont succombé à leur tour à la passion du football (l'action du roman se situe en 1998, pile au moment de la Coupe du Monde), une ferveur qui s'est répandue jusqu'aux prophètes eux-mêmes, Mahomet n'hésitant pas à arborer le maillot de Zinedine Zidane lors des grandes occasions.

Evidemment, à force d'humaniser ses créatures célestes et de les placer dans des situations tout ce qu'il y a de plus profanes, Pierre Corbucci se prend régulièrement les pieds dans le tapis, et on finit par ne plus s'étonner que ces êtres désincarnés puissent ressentir la faim, le froid, voire même quelques courbatures au terme d'une filature en nocturne.

Plus embêtant, l'enquête que mène Eriel s'avère assez peu passionnante, progressant par à-coups puis piétinant durant des chapitres entiers avant d'être relancée de manière plus ou moins artificielle. Quant à sa résolution, elle tombe malheureusement à plat, plombée par de trop longues explications et échouant à apporter une tonalité plus grave, pour ne pas dire métaphysique, à une histoire qui s'en était fort bien passée jusque-là.

Dans le cadre de la « Série noire », Journal d'un Ange bénéficiait de l'originalité de son sujet pour se distinguer des autres titres de la collection. En Folio « SF », l'effet de surprise ne joue plus vraiment. Restent quelques idées agréablement farfelues et une jolie collection de scènes loufoques ; de quoi passer une agréable soirée.

Philippe BOULIER

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