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Les critiques de Bifrost

Grande jonction

Grande jonction

Maurice G. DANTEC
LIVRE DE POCHE
886pp - 8,60 €

Bifrost n° 44

Critique parue en octobre 2006 dans Bifrost n° 44

Surprise, un Dantec lisible. Grande Jonction prend la suite de Cosmos Incoporated et pousse la logique chrétienne un peu plus loin. Dans la série des romans de la rentrée médiatique, le dernier Dantec est plutôt bien placé. Pas une télé, une radio ou une revue qui ne propose l'interview du « fasciste », du « néo-réac » ou, plus simplement, du « pape de la S-F française »… Autant dire qu'on entend beaucoup parler du bonhomme (l'adaptation de son Babylon Babies par Mathieu Kassovitz n'arrange rien), mais bien peu du livre proprement dit.

Désagréable, l'homme l'est assez (après avoir subtilement justifié les croisades, il en est maintenant à apprécier De Villiers). Intelligent, le roman l'est pas mal. Le reste, c'est de la littérature, comme dirait l'autre. Maurice Dantec évite scrupuleusement les charabias verbeux qui rendaient Villa Vortex imbuvable et louche un peu plus du côté de Baylon Babies. Nous sommes donc en présence d'un vrai roman normal, avec début et fin (ouverte, certes, mais fin quand même), mots signifiants et strictement aucun dérapage ésotérico-n'importe-quoi (autre que les habituelles obsessions stylistiques de l'auteur qu'on peut, ou pas, apprécier).

2070, après l'effondrement de l'humanité et la disparition de la métastructure (comprendre, l'IA qui a squatté le réseau et réduit la société à néant à grands coups de virus vachards), voilà qu'une deuxième chute menace ce qui reste. Plusieurs personnages vont donc y faire face, dont l'inévitable Link de Nova, sorte d'enfant sorcier dont les pouvoirs de réparation des machines semblent infinis. Pourtant, l'os est là. Cette seconde mutation est encore plus vicieuse (et d'ailleurs calquée sur La Division Cassini de MacLeod) : une machine incarnée en homme (passez aussi par la case DOA et revenez contents) qui s'attaque aux humains via de jolis virus mentaux (le cerveau n'étant somme toute pas autre chose qu'un gros ordinateur) et les transforme en modems désincarnés et bientôt morts. Dès lors, Link de Nova et ses alliés (truands, flics et autres) vont tenter de survivre. Subtilité, c'est la lumière qui sert de rempart à la machine (une lumière créée par le rock'n'roll, c'est beau). On n'en dira évidemment pas plus, sinon que la symbolique chrétienne (la nouvelle marotte de Maurice, donc) est assez tentante et plutôt bien vue : le verbe, la lumière, le divin, l'humanité, tout ça uni contre le nombre, le diabolique, la machine. L'ensemble baignant dans une assez belle idée : le livre comme sauveur potentiel de toute vie organique.

Résumons. Grande Jonction ne manque pas de sel mais s'avère juste un tout petit peu ennuyeux. La symbolique mystique exceptée, les idées qu'on y décèle sont au mieux banales et largement visitées par d'autres auteurs de S-F moins médiatisés. Les fans de Dantec (ceux de la première heure) s'y retrouveront, les autres passeront leur chemin en se pinçant le nez. C'est d'ailleurs dommage, l'homme vaut mieux que son personnage médiatique et ses romans sont indiscutablement « à lire ».

Patrick IMBERT

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