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Les critiques de Bifrost

Gaïa

Gaïa

Yannick MONGET
BRAGELONNE
456pp - 20,00 €

Bifrost n° 69

Critique parue en janvier 2013 dans Bifrost n° 69

La quatrième de couverture annonce d’emblée la couleur : chef-d’œuvre ! Que l’on se rassure, c’est Alexis Aubenque qui est cité… Feu Michael Crichton est aussi appelé en renfort. Tant qu’à faire ! Il y a ceux qui savent écrire des thrillers et ceux qui savent moins. Il suffira de comparer les pages 19 à 28 de Micro, le roman posthume de Crichton (terminé par Richard Preston), à n’importe quel passage de Gaïa.

S’il y a quelque chose de vraiment époustouflant dans Gaïa, c’est la fadeur des personnages ! Un must en la matière. Vient ensuite tout un coulis de bons sentiments écolo…

La couverture s’orne d’une épigramme grandiose : « L’Homme n’a pas su respecter la Nature. Il n’y a plus aucune raison pour que la Nature respecte l’Homme. » (Avec les majuscules.) On est là dans la plus belle des conceptions déistes et créationnistes qui soit. Dieu créa l’homme après la nature et le plaça au sein d’icelle ainsi que nous l’enseigne la Genèse (Gn 1.26). Gaïa est la déesse mère primordiale de la mythologie grecque. James Lovelock a popularisé cette personnification de la nature dans une perspective animiste comme quoi la Terre (à tout le moins, la biosphère) serait un être unique, sensible, conscient, pensant et agissant. Joli morceau d’anthropomorphisme. Comme toute divinité, Gaïa n’existe que tant qu’elle est adorée ; elle entend donc non seulement être « respectée », mais révérée et vénérée à l’instar de Nef dans Le Programme conscience de Frank Herbert et Bill Ransom. Rien n’est plus indifférent que la nature au sort des hommes et des autres créatures du vivant. Voici 60 000 ans, l’humanité a frôlé l’extinction. Elle ne comptait plus alors en tout et pour tout que la population d’une sous-préfecture de province. Dix fois le pool génétique minimal en deçà duquel l’extinction devient inéluctable, contre trois millions et demi de fois aujourd’hui. Il était alors difficile d’incriminer les activités humaines pour justifier la « vengeance » de Gaïa. L’homme a été contraint de s’adapter pour survivre et la nature lui en tiendrait rigueur ? Les dieux tout-puissants ne sont certes pas tenus à la justice, mais bon… L’homme devrait néanmoins respecter la nature ; c’est-à-dire s’y soumettre (comme respecter la loi, c’est s’y soumettre.) Qu’est-ce donc que respecter la nature ? Se soumettre à un clergé technophobe et misanthrope qui s’est donné pour mission de mener l’humanité à l’extinction ? Ils ont déjà sauvé le palu ! Au-delà des écolos politiques adeptes du principe du pollueur payeur qui n’ont d’autre souci que d’interdire aux pauvres de polluer afin que les riches puissent le faire plus et mieux, l’écologie est une hérésie en soi. Les êtres vivants sont des exemples des structures dissipatives, c’est-à-dire des structures qui se maintiennent loin de l’équilibre, justement. L’homme ne veut pas seulement manger, il veut aussi ne pas mourir d’une rage de dent bien que ça implique la chimie, la métallurgie, l’électricité et même l’usage de radiosources… Bref.

Donc, Gaïa se révolte. Rappelons que pour des raisons identiques, Yahvé nous a balancé le Déluge (Gn 6.5). Gaïa a bloqué la photosynthèse pour augmenter le taux de CO2 dans l’atmosphère (c’est pas les bagnoles !) afin de provoquer un rapide réchauffement climatique qui ne laissera pas à la civilisation le temps de s’adapter. Ajouter de super éruptions solaires qui interdisent les communications, des pluies de météores tueurs de satellites, une épidémie foudroyante, des arbres lanceurs d’épines et des fauves divers et variés chassant l’homme de concert comme dans le film Avatar pour achever le boulot… A partir du moment où la volonté divine cesserait d’être l’interprétation de faits par un clergé pour devenir la manifestation directe de la toute-puissance, il n’y a plus qu’à se coucher, comme disent les joueurs de poker.

Cette Gaïa qui se comporte comme le Dieu de l’Ancien Testament n’a rien de sympa ; alors Yannick Monget va chercher à arrondir les angles. Gaïa sera une entité venue d’outre espace voici deux millions d’années qui a transformé la flore en une entité collective, globale, sensible, consciente et tout le bataclan. Elle n’a assimilé Anne Cendras que récemment, poussée par les activités humaines, et en a adopté la tournure d’esprit. Manque de pot, une deuxième entité de même nature se pointe à son tour et assimile le capitaliste Grant, qui tond l’Amazonie comme un mouton, et, devenu tout-puissant mais inconscient de l’être, se trouve du coup à l’origine de toutes les avanies du mondes. Pour le discours de Monget, il faut que ces entités soient bonnes et ne veuillent pas la disparition de l’homme — enfin, dans la mesure où l’humanité terrestre aura (comme celle de Pandore dans Le Programme conscience) appris à véNefrer VéGaïer correctement. Gaïa n’est pas Nef. Elle n’attend pas que l’humanité soit capable de se passer de la divinité, mais de la civilisation. Qu’elle n’ait crainte, si notre civilisation venait à s’effondrer, elle ne s’en relèverait jamais, les ressources qui en ont permis la création n’existent plus.

Yannick Monget évoque une symbiose entre l’homme et Gaïa qui conserverait celui-là comme souche de biodiversité. Si l’homme a besoin de (utiliser) la nature pour vivre, la nature n’a pas davantage besoin de lui que du dodo. Pas de symbiose. Peut-être Gaïa préservera-t-elle le phylum humain, mais il y a dès lors toutes les chances pour que les successeurs de l’homme aient perdu toute intelligence, comme Stephen Baxter l’envisage dans Evolution. Ou, plus simplement, l’embranchement homo se sera éteint. Citant une soi-disant sagesse indienne (p. 257) : « L’homme n’a ni pouvoir ni privilège, seulement des responsabilités. » Désolé, mais on ne saurait être tenu pour responsable de ce sur quoi on n’a pas le pouvoir d’agir.

Construit selon le principe du « lancer de chat », le roman finit par retomber sur ses pattes, au risque de s’en casser une… Gaïa se lit malgré tout plutôt agréablement même si on ne parvient pas un instant à y croire. Le roman se veut militant et cela contrarie la suspension de l’incrédulité, fondamentale en matière d’intervention divine !

Jean-Pierre LION

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