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Les critiques de Bifrost

Frankia - tome 1

Frankia - tome 1

Jean-Luc MARCASTEL
MNÉMOS
344pp - 21,00 €

Bifrost n° 54

Critique parue en avril 2009 dans Bifrost n° 54

Auteur de Louis le Galoup, une série de fantasy de terroir (éditions Créaliv), Jean-Luc Marcastel défend un certain régionalisme de l'Imaginaire. Un parti-pris qui en vaut bien un autre, et effectivement pourquoi certains paysages de notre beau pays ne fourniraient-ils pas un décor tout à fait acceptable pour une imagination fertile en quête d'espaces sauvages ? Mais de là à peupler les derniers contreforts du Massif Central d'Orcs et de Nains, il y a un pas. Et un autre, plus audacieux encore, à faire cohabiter ceux-ci avec des hommes, dans une France alternative plongée dans la débâcle d'une Seconde Guerre Mondiale qui ne l'est pas moins. Alternative.

Tout comme « chez nous », Frankia est tombée en quelques mois sous les assauts d'une Teutonia revencharde. À sa tête, l'Überkaiser Von Darkho, un technomancien fourbe et cruel, comme de juste, qui a su redonner sa grandeur au peuple teuton. Epaulé par son état-major de Technarchontes, sorte de mages mécanoïdes à l'âme aussi noire que leurs armures, il a entreprit de débarrasser Europa de la peste Elfe, avant — imagine-t-on — d'installer un Überreich de mille über-ans.

Et c'est justement Faëllia s'Aïlenn Shaar Yggdrassaï, la dernière reine des Elfes, qui vient enrouler son automotrice autour d'un platane, non loin d'Anduz. Tentant de fuir les soldats à ses trousses, elle se réfugie dans la remise à bois de Gralk Orug Korg, qui, s'il n'a pas inventé le synthétiseur, a en revanche deux fils : Morkhaï, un orc tout comme lui, et Loïren, un humain qu'il a recueilli et adopté il y a dix ans de cela. C'est ce dernier qui découvre Faëllia. Prise de panique, celle-ci manque de le tuer, mais, blessée et épuisée par sa longue fuite, elle s'écroule, mourante. Immédiatement sous le charme de l'Elfe, Loïren est déterminé à la sauver, coûte que coûte. Il va demander l'aide de l'instituteur du village, et découvrir à cette occasion que le tranquille vieillard est en fait l'un des plus puissants technomanciens d'Europa. Si si ! Ce ne sera que le premier des masques à tomber au cours de cette nuit, des secrets vieux de dix ans vont remonter à la surface des avens cévenols et la vie du jeune homme va définitivement basculer…

Alors passons sur le saugrenu de cette France en guerre peuplée d'Orcs, d'Elfes et de Nains. Après tout, ça aurait presque pu être une bonne idée. Mettons ça sur les caprices de la physique quantique et des univers alternatifs plutôt que sur des délires de rôliste tardif qui aurait forcé sur le Granola pendant des vacances occitanes. Certes, on pourrait trouver à redire au manichéisme schématique de ce monde d'analogies trop transparentes. Toutefois, dans la tonalité indubitablement « jeunesse » du roman, ce n'est guère gênant. La pompe presque notariale de l'écriture de Jean-Luc Marcastel l'est bien davantage, en fait.

Le ton est confit dans une bonhomie campagnarde très « avant-guerre », et les références cévenoles évoquent — non sans horreur — l'empreinte de Barjavel (et pourquoi pas, après tout ? Frankia parle aussi de collabos). Pour nous laisser cette impression de ruralité saine, Marcastel a la main lourde sur la personnification. La pénombre n'hésite ainsi aucunement à être « en anxiété », occasionnellement la nuit est « en orgie de noirceur », quant à Paris — « la belle de Frankia » — elle ne peut-être que « volage et brillante », encore qu'en ces temps moins glorieux, « elle se recroqueville sur ses blessures, telle une femme violentée ». Rien de moins.

Et lorsqu'il n'a pas la métaphore plombée, Marcastel donne sans retenue dans la périphrase pataude. En résulte une lecture fastidieuse, lourde comme une potée aux choux, qui trottine à son rythme flatulent vers des rebondissements attendus. Des défauts dommageables au rythme de cette relecture convenue de la Seconde Guerre Mondiale, déjà entravée par soixante ans de poncifs filmiques qui vont du Vieil homme et l'enfant à Quand les aigles attaquent, en passant même par La Bataille du rail. De fait, il se passe notablement peu de choses dans ce premier tome (car c'est un premier tome !). Que de temps perdu, il faut dire, à cause de cette besogneuse grandiloquence dont Marcastel ne se départit jamais. Une insupportable propension au rebondissement mesquin lui fait trop systématiquement différer d'une bonne demi-page chaque révélation d'une nouvelle tribulation. Pas une seule fois, un danger qui n'apparaisse sans que l'auteur ne s'appesantisse avec un lyrisme gauche sur l'horreur indicible qui étreint ses personnages à la vue de ce qu'une destinée traîtresse et haineuse s'acharne à mettre sur leur chemin. Voilà, y'a pas de raison, moi aussi je donne dans la personnification.

On sent pourtant derrière ces laborieux efforts un amour touchant du travail bien fait. Cette passion artisane qui pousse parfois à en faire trop. On aurait aimé s'y laisser prendre, et on aurait pu beaucoup pardonner à Marcastel sans ce systématisme agaçant et regrettable dans le poussif. On passe.

Éric HOLSTEIN

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