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Les critiques de Bifrost

Dreamworld

Dreamworld

SIRE CÉDRIC
LE PRÉ AUX CLERCS
288pp - 16,00 €

Bifrost n° 50

Critique parue en mai 2008 dans Bifrost n° 50

Second recueil de l'auteur (après Déchirures en 2005), Dreamworld surprend sans vraiment surprendre.

Les thèmes des nouvelles sont conformes à ce qu'on peut attendre de Sire « je suis beau comme un dieu viking, non ? » Cédric : suicide, ange(s), déviances sexuelles, automutilations, narcissisme, adultère, enfance martyrisée, adolescence difficile jusqu'à l'impossible, cryptozoologie. Le tout est un brin « pornographique », lourdement « juvénile », délicieusement « gothique » — même si l'auteur se défendra probablement d'être « gothique ».

La surprise est ailleurs. Dans Dreamworld, Sire Cédric déploie un éventail stylistique impressionnant (car varié) à défaut d'être pleinement convaincant (il reste çà et là un peu d'immaturité et beaucoup de « poses » — parfois pénibles, comme certaines nouvelles surécrites de Léa Silhol). Ces « poses » faisant partie du genre « fantastique gothique » comme le vernis craquelé est constitutif d'une toile de maître hollandais, il est difficile de parler de maladresses ; au contraire, on sent que tout ça a été bien pensé et instaure un dialogue entre l'auteur et son lectorat potentiel (et réel), un lectorat d'adolescents des deux sexes fascinés par les Berlin d'Isherwood, de Lou Reed et de David Bowie, les habits noirs et les doigts-ciseaux de Johnny Depp, les statues des cimetières, les vampires de Prague et de la Nouvelle-Orléans.

Sire Cédric, qui serait sans doute surnommé le « beau ténébreux » s'il faisait partie de la famille Addams, sait à qui ses textes s'adressent, et donne à cette jeunesse en quête d'éternité ce qu'elle veut : du sang, du cul, du romantisme, du velours rouge, des dentelles noires, une morsure à l'ombre des caveaux anciens et, plus important que tout ce qui précède, un imaginaire tissé de compréhension et de complicité.

Les personnages de ce « monde du rêve » (qui est le vrai monde, comme chacun sait) sont vivants, parfois très réussis, telle la mère de la nouvelle « Conscience ». Cependant, il manque souvent un petit quelque chose qui ferait des textes de ce recueil de grands textes inoubliables : Sire Cédric ne va pas toujours au bout de son imaginaire, il n'explore pas assez la mythologie de ses édifices littéraires ou celle qu'il exploite (Babylone, les anges, les dragons). Le thème central de « Sangdragon », la cryptozoologie, tombe à plat car l'auteur est trop désinvolte, n'a pas assez fait de recherches sur le sujet pour convaincre. « Cauchemars » aurait pu être digne des Livres de sang de Clive Barker, mais il manque quarante ou cinquante pages à ce texte.

Quand Sire Cédric, sans doute trop pressé d'avoir une carrière, aura compris qu'il faut parfois cent pages là où il n'en offre (verbe choisi à dessein) que vingt ou trente, et qu'un simple geste peut parfois remplacer avantageusement le manque d'originalité d'une scène de cul de trois pages (la quinzième du recueil !), il pourra sans doute rivaliser avec sa grande sœur Poppy Z. Brite ou son grand frère Brian Hodge.

La dernière fois que j'ai lu un très bon recueil fantastique francophone, il s'agissait de Serpentine de Mélanie Fazi (critique dans Bifrost n°37). Dreamworld est plus sexuel, plus brutal, moins ciselé (moins abouti, aussi). Ce qui n'empêche pas ces deux livres de viser globalement le même public. Et de l'atteindre, me semble-t-il.

Thomas DAY

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