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Les critiques de Bifrost

Comme le fantôme d'un jazzman dans la station Mir en déroute

Comme le fantôme d'un jazzman dans la station Mir en déroute

Maurice G. DANTEC
ALBIN MICHEL
16,00 €

Bifrost n° 53

Critique parue en janvier 2009 dans Bifrost n° 53

D'abord annoncé chez Plon, le Dantec nouveau est finalement sorti chez Albin Michel après ce qui ressemble fort à un imbroglio éditorial.

D'après David Kersan, l'agent de Dantec, il s'agirait d'un texte contemporain de « Là où tombent les anges » — publié, rappelons-le, en 1995 —, mis de côté à l'époque et exhumé sur le tard sur ses conseils. Info ou intox ? On ne le saura jamais. Ce qui est sûr, en revanche, c'est que connaissant l'exigence de l'auteur envers son œuvre propre et sa tendance à relativiser, voire à minimiser l'importance de ses premiers romans, lesquels marquèrent pourtant leur époque, je n'avais nulle crainte en ouvrant ce court, très court roman : s'il nous propose aujourd'hui un texte vieux d'une dizaine d'années, c'est qu'il estime que celui-ci n'a pas (trop) vieilli et possède suffisamment de qualités pour être présenté au public. Le fait est que je n'ai pas été déçu. Il ne s'agit effectivement pas d'un fond de tiroir — ou alors, de nombreux auteurs aimeraient avoir une œuvre à la hauteur de tels fonds ! —, mais au contraire d'un texte de premier plan présentant d'ailleurs nombre de similitudes avec La Sirène rouge, ce qui accréditerait au passage la thèse de l'agent…

En France, à l'aube du XXIe siècle, quelques dizaines de personnes sont touchées par un neurovirus génétique, le syndrome de Schiron-Aldiss, « une sorte de maladie nerveuse » qui semble « se communiquer de façon mystérieuse » et provoque chez ses victimes des rêves hyperintenses et des séquences hallucinatoires : « Ça prend la forme de visions, mais on ne peut pas dire que l'apparence de la réalité change fondamentalement, non, c'est plutôt comme si on voyait sous les apparences la vraie nature de la réalité, c'est juste qu'on perçoit, par un sens nouveau qui n'est ni la vue, ni l'ouïe, ni rien d'autre, les flux d'énergie et d'informations, les champs magnétiques et électriques, qu'on perçoit aussi, qu'on »pressent« plutôt, les altérations chaotiques, les enchaînements de probabilités, comme des semi-rêves branchés sur le futur proche. » S'il n'existe aucun remède à ce syndrome, circulent en revanche deux molécules capables de bloquer ces séquences.

Les hommes et femmes touchés sont rassemblés dans des Centres de regroupement sanitaires, leurs cartes d'identité à puce laissant apparaître qu'ils sont porteurs de la maladie. C'est dans ce contexte quasi concentrationnaire que le narrateur et sa compagne se rencontrent. Se sentant piégés, cobayes en survie, à l'intérieur d'un de ces Centres, ils s'en évadent et commettent une demi-douzaine de braquages dont le butin leur permettra, pensent-ils, de rejoindre le sud de l'Asie. Leur projet consiste à rallier dans un premier temps l'Afrique du Sud, tout en faisant croire qu'ils ont fui vers le Brésil. Il leur faudra préalablement transiter par l'Espagne, le Maroc et de nombreux autres états.

Le roman s'ouvre sur leur ultime braquage. Lequel se déroule parfaitement. Sauf que nos deux héros découvrent en passant la frontière franco-espagnole que la police leur attribue un hold-up supplémentaire, sanglant celui-ci, avec lequel ils n'ont rien à voir. De braqueurs, ils deviennent donc assassins. Commence alors une course-poursuite haletante avec la police, avec les véreux de tous bords tentant d'entraver leur progression, avec la maladie et avec eux-mêmes peut-être.

Précisons que durant leurs « crises », nos apprentis fuyards se retrouvent simultanément sur Terre et en orbite, à bord de la station Mir en panne, prête à se disloquer, en compagnie de trois astronautes et du fantôme du jazzman Albert Ayler, disparu en 1970. Pourquoi ? On l'apprendra éventuellement à la fin du roman…

Road movie sous acide, polar « Pop » et visionnaire, ce roman sec et nerveux se lit d'une traite et renoue avec l'efficacité des premiers textes : c'est palpitant et il nous faut savoir ! S'il s'adresse aux inconditionnels de Dantec dont je suis, il est également de nature à le réconcilier avec ceux de ses lecteurs qui lui reprochaient de faire systématiquement long, complexe et boursouflé, et avaient décroché depuis Villa vortex. Ainsi qu'avec ceux — tel ce participant à un forum, il y a quelques semaines — qui exhortaient l'auteur à se remettre à « écrire de vrais romans » et à cesser « de se croire philosophe, chroniqueur politique ou pamphlétaire ». Pour ma part, je considère qu'il est tout cela à la fois mais avant toute chose un formidable romancier, cette nouvelle pierre à l'édifice en apporte, malgré un final en demi-teinte, une nouvelle preuve éclatante. 1

 

Notes :
On découvre au moment de boucler ce Bifrost une interview de M.G.D. sur le net (http://www.contre-feux.com) indiquant qu'il expliquait la genèse de cette œuvre dans le cadre d'un « bref avant-propos ». Avant-propos ne figurant pas dans les épreuves qui nous ont été adressées par l'éditeur… [NDRC]

Richard COMBALLOT

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