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Les critiques de Bifrost

Callisto

Callisto

Torsten KROL
BUCHET-CHASTEL
476pp - 24,35 €

Bifrost n° 47

Critique parue en juillet 2007 dans Bifrost n° 47

Odell Deefus, un grand nigaud âgé de 22 ans, traverse le Kansas dans sa vieille Chevry Monte Carlo. Son but : atteindre la petite ville de Callisto, où se trouve un bureau de recrutement de l’armé américaine. Odell est résolu à s’engager pour aller combattre en Irak. Il a vu des « islamistes » à la télévision, et il les a trouvé très méchants. Et comme, en plus, il y a une prime pour les soldats qui acceptent de partir en Irak… Mais quelques kilomètres avant d’arriver à destination, sa voiture lâche. Il fait alors la connaissance de Dean Lowry, qui accepte de l’héberger. Dean est un type assez étrange, un petit dealer qui s’est récemment converti à l’islam. Odell se méfie de lui, et par un triste concours de circonstances, il le tue d’un méchant coup de batte de baseball. Puis il découvre un cadavre dans le congélateur de Dean. Odell se retrouve donc avec deux cadavres sur les bras et un énorme problème : il va falloir qu’il réfléchisse à tout ça. Et réfléchir, ce n’est pas vraiment le point fort d’Odell. C’est alors qu’il a une très mauvaise idée : pour justifier la disparition de Dean, il raconte à la police que celui-ci a proféré des menaces de mort à l’encontre du sénateur Ketchum, futur candidat républicain aux présidentielles américaines. Et, comme si ça ne suffisait pas, il explique que Dean est parti dans une voiture, en compagnie de plusieurs de ses « frères musulmans ». Il n’en faut pas plus pour que la mécanique paranoïaque se mette en branle et fonctionne à plein régime, jusqu’au délire total : policiers douteux, mystérieux agents de la sécurité nationale, FBI, télévangéliste à la tête d’une très politique « fondation pour le renouveau de la foi », reporters de chaînes de télévision en quête de scoop… Odell est aussitôt encerclé par une horde de tordus frénétiques, tous convaincus qu’il détient des renseignements essentiels sur un complot terroriste de grande ampleur. Tout le monde manipule tout le monde. Et Odell, déjà complètement dépassé par les évènements, doit faire face à une succession de situations délirantes. S’ajoute à tout ça l’apparition soudaine de Lorraine, gardienne de prison et sœur de Dean Lowry, dont Odell tombe instantanément amoureux…

La grande force de Callisto, c’est d’être un roman qui ne cherche pas à tromper son lecteur. D’entrée de jeu, les choses sont claires, les choix sont nets, tranchés : Callisto est une satire politique cruelle et survoltée. Une farce énorme, déjantée, décapante, et qui s’assume comme telle. Les personnages sont tellement chargés, tellement too much, qu’ils sont sans cesse à la limite de la caricature. Et les développements de l’intrigue atteignent vite un stade qui se situe très au-delà du crédible, ou même du simple réalisme. Mais c’est justement ce parti pris — radical, outrancier, excessif — qui fait de Callisto un roman unique. L’autre point fort de Callisto, c’est d’avoir choisi le personnage d’Odell Deefus comme seul et unique narrateur. Car ce grand gaillard a toujours — au minimum ! — un temps de retard sur l’action. D’où un effet comique à répétition, un peu facile, souvent cruel, mais d’une efficacité redoutable. On assiste, éberlué, aux mésaventures hilarantes d’Odell. Et bien sûr, on finit par s’attacher à ce type étonnant, devenu bien malgré lui la victime expiatoire d’un système politique démentiel. Au fil du récit, le personnage d’Odell évolue : il comprend peu à peu qu’on lui a menti, et que le vrai visage de l’Amérique n’est pas tout à fait celui qu’il a vu à la télévision. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que pour parvenir à cette vérité simple, il lui faudra passer par les pires épreuves.

Callisto est donc une vraie curiosité littéraire. Une sorte de composite bizarroïde, qu’on peut situer quelque part entre les polars teigneux de Jim Thompson (1275 âmes) et les fictions frapadingues de Chuck Palahniuk. Mais on peut aussi le lire comme un roman d’espionnage sous acide, voire même comme un cauchemar éveillé que subit le narrateur. Dans tous les cas, c’est un roman étrange, inclassable.

D’autant plus étrange qu’on ne sait rien de l’auteur. Torsten Krol refuse les interviews, les photos, les apparitions publiques. Personne ne sait à quoi il ressemble, même pas ses éditeurs. Opération marketing ? Ou gros problème de timidité excessive ? Torsten Krol est un écrivain-mystère. A tel point que certains critiques ont imaginé qu’il pouvait s’agir d’un écrivain célèbre utilisant le pseudonyme de Torsten Krol (on dirait le nom d’un personnage de Tolkien !). On a même cité le nom de J.D. Salinger, l’auteur du roman culte L’Attrape-cœurs, que personne n’a vu depuis des décennies. Tout simplement à cause du fait que l’écriture de Krol ressemble un peu à celle de Salinger… Mais bon, finalement peu importe. Qu’il ait été écrit par un Krol — ou par un Troll ! — ne change rien à l’affaire : Callisto est un livre qui se suffit à lui-même, et qui aurait facilement pu se passer de cette polémique un peu vaine. Alors surtout, ne passer pas à côté ; car un roman de ce calibre, on n’en lit pas tous les jours. Et ça, au moins, c’est une certitude.

Xavier BRUCE

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