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Les critiques de Bifrost

Blind Lake

Blind Lake

Robert Charles WILSON
FOLIO
482pp - 9,90 €

Bifrost n° 41

Critique parue en janvier 2006 dans Bifrost n° 41

Avec Blind Lake, et après le coup de maître des Chronolithes, Robert Charles Wilson livre un excellent roman de science-fiction, sans toutefois jamais décoller vraiment. Tous les thèmes chers à l'auteur sont présents : une situation incompréhensible qui échappe à la plupart des protagonistes, des personnages complètement perdus dans une vie qu'ils subissent plus qu'autre chose, sans oublier un mystère d'envergure cosmique magnifiquement bien amené. Dès lors, pourquoi songer à se plaindre, dans la mesure où Blind Lake plane déjà très au-dessus des habituelles productions S-F ? Peut-être qu'on attendait tout simplement plus d'un auteur de cette trempe. Pas de panique, on ne se plaint pas vraiment, mais on pointe quand même une ressemblance assez immédiate avec d'autres romans de Wilson, ressemblance qui évoque souvent un système. Le système Robert Charles Wilson, donc, c'est un savant cocktail de tendresse, d'humanisme et de vision qui dépasse de loin l'espèce humaine. À ce titre, Blind Lake est un modèle du genre : station d'observation spatiale sous haute surveillance basée en plein Minnesota, le complexe de Blind Lake est un observatoire d'un type nouveau. Avec un système de télescopes quantiques auto-évolutifs (et donc intelligents ?) parfaitement ingérable par des scientifiques qui courent après les données sans jamais comprendre vraiment comment ils les récupèrent, il est désormais possible de recevoir des images de mondes extraterrestres avec une clarté et une résolution hallucinante. Encore plus fort, la « caméra virtuelle » peut même suivre les actions radicalement étrangères d'un indigène du cru, sobrement baptisé « le Sujet ». Postulat difficilement crédible, donc, mais le talent de Robert Charles Wilson fait le reste. Dès le début, le lecteur est happé par une histoire rocambolesque qui va suivre l'itinéraire de trois journalistes coincés dans la station au moment même où les portes se ferment et qu'une quarantaine inexpliquée s'applique avec la plus grande rigueur (ceux qui tentent de s'échapper sont froidement descendus par des drones militaires globalement dénués de sens de l'humour). Alors que la vie continue comme elle peut et que les enfermés se résignent à une situation parfaitement bloquée, le Sujet change radicalement ses habitudes en abandonnant sa vie morne (suivant les standards terriens) et en partant dans le désert pour un pèlerinage sans but apparent. Pourquoi un tel changement ? Est-ce à mettre en rapport avec le blocus qui se compte maintenant en mois ? Quel est donc le danger que Blind Lake représente pour le monde extérieur au point de justifier un tel isolement forcé ? Autant de questions que distille Robert Charles Wilson avec une intelligence narrative très professionnelle, sans jamais donner de réponses vraiment définitives (fort heureusement). De fait, Blind Lake se lit comme un excellent thriller et mérite sans aucun doute d'être qualifié de genuine page turner. Avec des personnages crédibles, intelligents et suffisamment dépressifs pour que les lecteurs s'y identifient rapidement, Wilson trouve le vrai moyen de faire une S-F différente qui n'appartient qu'à lui : s'intéresser avant tout à l'humain et décrire les événements à son échelle, postulat qui rend chaque protagoniste fondamentalement attachant car mis au même niveau que le lecteur. Au final, si Blind Lake ne révolutionne rien, le livre n'en reste pas moins excitant et subtil, intelligent et parfois même vertigineux quant aux implications à peine esquissées par un auteur dont on imagine sans peine le clin d'œil une fois la dernière page tournée. Autant dire qu'on attend son prochain opus, Spin (toujours en « Lunes d'encre »), avec une impatience difficilement contenue.

Patrick IMBERT

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