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Les critiques de Bifrost

60 jours et après

60 jours et après

Kim Stanley ROBINSON
PRESSES DE LA CITÉ
576pp - 24,00 €

Bifrost n° 54

Critique parue en avril 2009 dans Bifrost n° 54

Dans les précédents ouvrages de cette trilogie engagée et écolo (Les Quarante signes de la pluie, octobre 2006, et 50° au-dessous de zéro, novembre 2007), Kim Stanley Robinson posait un diagnostic quasi désespéré sur l'état de la planète, faisant sentir, à travers les démêlés politico-mystico-scientifiques d'une brassée de personnages, l'urgence historique qui pèse sur nos actes — tant sur le plan individuel que collectif. Est-ce que quelqu'un, un jour, élèvera une pierre tombale pour notre civilisation ? questionnait-il en substance. Et si c'est le cas, que dira-t-elle ? En aucune manière que nous n'étions pas avertis : elle pourra juste dire que nous avons été trop lents à répondre aux forces qui minaient notre civilisation.

Car les transformations en cours sont, seront, d'une intensité sans pareille, et l'auteur, hyper documenté sur le sujet, les présente en soulignant, au-delà des mutations climatiques, l'importance des questions de l'agriculture et de l'eau, l'impact d'une démographie mondiale galopante sur l'environnement. Constat brutal : nous consommons les ressources renouvelables bien plus vite qu'elles ne peuvent se régénérer. En cause, notamment : le modèle économique. La catastrophe est prévisible pour des pays à croissance rapide (Chine, Inde) ; mais les pays développés ne sont pas plus à l'abri : dans un système où les nations sont partout en compétition pour les mêmes ressources, l'ultralibéralisme qui prévaut aujourd'hui cessera d'être applicable aux pays riches comme aux autres.

Force est de constater avec 60 jours et après que l'auteur est de moins en moins anxieux. Son ton, en tout cas, n'est plus aussi alarmiste. Il ne doute plus que la société mondiale puisse évoluer pour prévenir les conséquences du réchauffement global, même s'il ne voit de recours que dans l'émergence de nouveaux leaders, hommes politiques providentiels comme son Phil Chase, nouvellement élu à la tête des Etats-Unis. (et qui rappelle ostensiblement — hasard heureux ou prémonition ? — l'hôte actuel de la Maison-Blanche).

Sorte de Churchill de l'environnement, Chase est bien décidé à mettre au pas tous les pollueurs impénitents qui ne veulent pas se résoudre à la nécessité du changement. Les opérations visant à faire redémarrer le Gulf Stream, réussies au-delà de tout espoir, ont donné au président quelques marges de manœuvre, mais pas de quoi sombrer dans un optimisme béat, comme l'atteste l'humeur variable du thermomètre. Il s'agit dès lors de trouver d'autres solutions : une nouvelle économie, basée sur la maîtrise de la consommation et l'efficacité énergétique, les transports collectifs, une agriculture soucieuse de biodiversité, la généralisation du renouvelable et du recyclage, etc. Il faudrait, à l'échelle de la planète, un investissement que Robinson chiffre à quelques trillons de dollars par an, pour réduire la pauvreté dans les pays les plus misérables et restaurer l'environnement de la planète. Tout ceci devrait découler d'un principe simple : intégrer dans l'activité économique le coût de son impact écologique. Comme le socialisme s'est effondré parce qu'il n'autorisait pas le marché à dire la vérité économique, le capitalisme pourrait s'effondrer parce qu'il ne permet pas au marché de dire la vérité écologique. Pour forcer le marché à valider ce concept de « vérité » écologique, Chase et son équipe imaginent un new deal inspiré des années d'après-guerre, quand le président Roosevelt avait engagé l'Amérique dans un programme de développement d'une ampleur jamais vue.

Autant être clair, le roman s'adresse aux lecteurs passionnés par les discours scientifiques et économiques ardus, qui ne rechigneront pas devant les choix narratifs de l'auteur. En effet, Robinson privilégie les idées par rapport aux images et sacrifie de fait le rythme sur l'autel de l'exposé et de la philosophie. L'action est ici réduite à sa plus simple expression ; la mise en scène restitue, avec une laborieuse sincérité, la lourdeur des processus bureaucratiques, l'inertie de la machine administrative en butte à un phénomène qui la dépasse, les luttes d'influences entre agences gouvernementales, entre intérêts publics et consortiums privés, entre nations. Sauf que, passé trois ou quatre chapitres, on ne sait plus trop où Robinson veut nous mener. Les enjeux du roman, passionnants, sont dilués dans l'évocation du quotidien banal, et même pénible à la longue, d'une équipe de technocrates et de chercheurs (Franck Vanderwal, la famille Quibler, déjà présents au casting des épisodes précédents) au service du président Chase, que vient « pimenter » une sous intrigue lorgnant du côté du récit d'espionnage ainsi qu'une flopée de considérations mystiques/philosophiques dispensables. La tendance de l'auteur à l'hypergraphie, avérée et déjà stigmatisée dans la critique du second opus, trouve ici une sorte d'apogée. L'aspect monolithique et mollasson, les développements flottants et l'abominable happy end ne plaide pas vraiment en faveur du livre. Reste, de loin en loin, une réflexion prospective non dénuée d'intérêt, à défaut d'être convaincante littérairement parlant. En catastrophiste éclairé et zen, Robinson pointe l'urgence écologique et, plus profondément, analyse les forces sociales et les rapports de pouvoir qui structurent le monde aujourd'hui. Peut-on opérer la mutation nécessaire du monde sans transformer énergiquement ces rapports de pouvoir ? C'est la question cruciale à laquelle il tente d'apporter, à sa manière maladroite, des éléments de réponse.

Sam LERMITE

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